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Billet de blog 9 janvier 2014

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Pour la reconnaissance d’un droit de légitime défense démocratique

L’affaire Dieudonné soulève des questions aussi importantes pour notre démocratie que celles soulevées en leur temps par les actes terroristes : comment éviter de tomber dans le piège de ces ennemis de la démocratie qui se drapent dans nos libertés publiques pour mieux pulvériser de l’intérieur ces mêmes libertés appelant à la haine et à la violence sur une partie de la population ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’affaire Dieudonné soulève des questions aussi importantes pour notre démocratie que celles soulevées en leur temps par les actes terroristes : comment éviter de tomber dans le piège de ces ennemis de la démocratie qui se drapent dans nos libertés publiques pour mieux pulvériser de l’intérieur ces mêmes libertés appelant à la haine et à la violence sur une partie de la population ?

Il faut reconnaître à Manuel Valls le courage d’avoir apporter une réponse qui demeure imparfaite dans la forme, une simple circulaire, et fragile dans le fond, tant les juges administratifs s’inscrivent dans une tradition protectrice des libertés publiques. La décision du Tribunal administratif de Nantes annulant l’arrêté d’interdiction du « spectacle » au Zénith ne surprend pas les juristes spécialistes en droit public.

Ainsi, une menace sourde plane sur les décisions attendues des maires ou des préfets qui, au nom de l’ordre public et du respect de la dignité humaine. Cette menace a un nom, la censure ; une origine, l’Etat.

Dans notre histoire, nous nous défions des régimes d’exception et il pourrait être particulièrement contre-productif de légitimer une censure d’Etat.

Pour autant, laisser un délinquant multirécidiviste éructer des propos que l’on croyait à jamais disparus est insupportable. Et la protection de la liberté d’expression ne doit pas devenir une ligne Maginot derrière laquelle la démocratie et la République se planqueraient à peu de frais mais à grand risque.

Nous, le peuple, devons agir et je propose à tous les hommes et à toutes les femmes désireux de crier « halte là ! » une solution juridique simple et arrimée sur des arguments plus solides que ceux figurant dans la circulaire.

Pour cela, nous devons répondre à trois questions : qui peut agir ? Comment agir ? Sur quels critères objectifs peut on obtenir l’interdiction judiciaire d’une manifestation publique ?

QUI PEUT AGIR ?

Laisser le monopole de l’action à l’Etat peut soulever des questions de légitimité des mesures prises et ouvre la porte à des dérives préoccupantes pour les libertés publiques. Un état d’exception permanent peut accoucher d’une Etat-policier à l’opposé de celui d’une démocratie.

Pour éviter cette dérive, toute personnes intéressée, toute association défendant les libertés publiques ou luttant contre le racisme devrait pouvoir saisir préventivement le juge judiciaire et non administratif afin qu’il interdise la tenue de telle ou telle manifestation politique.

Aux termes d’un débat contradictoire et public, le juge appréciera les arguments en présence et pourra décider si, pour protéger les libertés fondamentales du peuple, il ne convient pas de restreindre les libertés de certains parmi les opposants au système démocratique.

COMMENT AGIR ?

Le juge dont il est question n’est pas le juge administratif mais le juge judiciaire.

En effet, le juge des référés du tribunal de grande distance détient un large pouvoir d’action et d’appréciation : l’article 809 du Code de procédure civile dispose que « Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

La jurisprudence est bien établie en ce qui concerne le dommage ou la nécessité de faire cesser un trouble manifestement illicite.

On peut citer de mémoire les décisions d’interdiction de diffusion d’un livre ou d’un reportage télévisuel parce qu’il porte atteinte à la vie privée, au secret médical ou contiendrait des propos négationnistes passibles de sanctions en application de la loi Gayssot.

De même, il paraît évident qu’une manifestation publique destinée à contester les principes fondamentaux de la République ou ‘enfoncer profond une quenelle dans le trou du c… du système démocratique’  constitue un « trouble manifestement illicite ». En effet, les propos violents, injurieux, racistes, négationnistes sont tous passibles de sanctions au regard de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

SUR QUELS FONDEMENTS OBTENIR l’interdiction d’une manifestation publique ?

Commençons par affirmer une évidence, trois textes fondamentaux définissent notre système démocratique et républicain. De par leurs origines, ils ont des valeurs juridiques différentes mais ils constituent ensemble le substrat de notre idéal. Il s’agit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Si ces textes reconnaissent le principe de la liberté d’expression, c’est sous réserve de respecter les principes premiers d’égalité entre les hommes et de respect de la dignité humaine.

Il serait trop facile de se retrancher derrière la liberté d’expression pour remettre en cause les principes premiers. De manière triviale, aucun citoyen, fut-il humoriste, ne peut appeler à gazer ou éradiquer telle ou telle partie de la population en exhibant sa « liberté d’expression ».

La liberté d’expression ne faut pas licence de tuer avec des balles ou avec des mots.

Il est aisé pour un juge indépendant et impartial d’apprécier si par ses propos, ses actes, ses engagements, telle ou telle personne entend remettre en cause les principes premiers, par exemple pour remplacer le régime républicain par un régime monarchique ou théocratique.

Quand la même personne a été condamnée à plusieurs reprises pour ses prises de positions contraires aux principes premiers, il entre dans les pouvoirs du juge des référés de prévenir « un trouble manifestement illicite » en interdisant une manifestation publique dont l’objectif avoué ou non est de dynamiter ou de remettre en cause tout ou partie des principes premiers.

On le voit la solution proposée consiste à reconnaître aux citoyens contre un autre citoyen un droit de légitime défense démocratique pour permettre au juge judiciaire d’arbitrer le différend.

Christophe Lèguevaques est avocat au barreau de Paris.

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