M. Yves JOURNEL s’est payé une pleine page de publicité à grand frais dans “Le Figaro”. Intitulée “Lettre à Elise”, il s’en prend à la journaliste Elise Lucet qui a osé enquêter sur la gestion des EHPAD hyper rentables et si peu respectueuse des résidents.
Cette lettre n’a pas manqué de faire bondir, de choquer voire de révulser les familles de résidents en EHPAD, tout autant victimes des dévoiements d’une institution qui voit dans les « senior » un nouveau filon à exploiter.
Linda Terrier (Toulouse) est la première à réagir.
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Je suis Linda Terrier, fille d’une résidente en Ehpad. Je suis la fille de ma chère maman, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Je suis cette enfant, qui a dû, comme tant d’autres, accompagner son parent en Ehpad, pour tenter d’y trouver une sécurité physique, mise en danger par la maladie ; pour tenter d’y trouver les soins les plus adaptés possibles.
Je fais partie de ceux et celles qui ont récemment rejoint le mouvement de prise de parole pour améliorer la prise en charge de nos aînés, notamment dans les Ehpad. Ce matin, alors que les grands titres de tous les médias se focalisaient sur l’invasion russe en Ukraine, un certain nombre d’entre nous avons été saisis d’une froide stupeur en découvrant la « lettre (ouverte) à Elise » rédigée par M. Yves Journel et publiée dans Le Figaro du jour.
Cette « lettre à Elise » n’est pas une partition qui restera, comme celle de Beethoven, dans l’histoire et dans le cœur de tout un chacun. La partition que joue ici M. Journel est une partition cynique, presque écœurante. C’est la partition d’un homme qui semble aux abois, d’un entrepreneur qui, 40 ans plus tard, se trouve confronté à la réalité du système de maltraitance systémique qui caractérise les Ehpad. C’est un système que cet homme ne pouvait ignorer, mais qu’il n’a pas combattu. Ce système est dénoncé aujourd’hui de toute part mais cela ne semble inspirer en lui qu’une ambition : le défendre et s’en défendre.
La question posée ici n’est pas celle de l’appartenance de M. Journel aux plus grandes richesses de France : la question posée ici est celle de l’inadéquation totale de sa réponse à Elise, dans le contexte d’actualité autour des Ehpad. Le problème posé n’est pas qu’il est à la tête de la 3e entreprise privée du secteur : le problème est qu’il refuse d’assumer ses responsabilités, en répondant simplement et directement, aux questions qui lui sont posées.
M. Journel a été contacté par Mme Lucet à plusieurs reprises mais ne souhaite pas lui répondre. Que craint-il ? Il préfère rédiger une « lettre (ouverte) à Elise ». C’est son droit. Il choisit, comme Nicolas Hulot avant lui, la stratégie de la victimisation face à ce qu’il considère comme une attaque qui serait, suggère-t-il, insupportable et injustifiée. C’est peut-être vrai. Nous ne le saurons pas. Ce que nous savons, en revanche, c’est qu’il choisit la rhétorique du pathos, une rhétorique insultante pour les milliers de résidents, de familles de résidents, d’aidants et de soignants en Ehpad qui expriment aujourd’hui, avec dignité, leur souffrance face à un système de prise en charge à bout de souffle.
Un mot, américain, décrit la situation à laquelle est confrontée cet entrepreneur : « Accountability ». Il est, en effet, temps d’être transparent, il est temps de répondre aux doutes, il est temps de rendre des comptes. Mais M. Journel choisit, plutôt, de s’appitoyer sur son propre sort : de la perte de ses parents, eux-mêmes en Ehpad, au mythe de l’entrepreneur qui, parti de rien, aurait, grâce à ses mains, permis à des milliers de personnes de trouver le bonheur en Ehpad, tout y passe. Il faudrait le remercier car sans lui, sans son groupe, les résidents et leurs familles auraient été bien mal traitées. Pas une mention pour les personnels du terrain, les vrais. Il faudrait le féliciter d’avoir pris la plume pour se libérer de l’oppression d’une femme, Elise Lucet. Pas un mot sur les raisons pour lesquelles il ne répond pas à ses questions.
Au fond, M. Journel ne nous explique pas « sa » vie ; il tente de nous expliquer « la » vie, de nous donner des leçons d’Ehpad. Comme si nous ne savions pas. Ce que M. Journel semble totalement ignorer, c’est que pendant tout ce temps, des collectifs incroyables de familles, de citoyens « normaux », se sont formés, se sont rassemblés. Il semble ignorer toutes leurs propositions constructives, tout leur activisme – bénévole – pour faire avancer la cause de nos aînés, de leurs familles, de leurs soignants. C’est cette partition-là qui mériterait d’être publiée : tout ce travail[1][2] constructif, combatif, positif, équilibré, raisonnable et raisonné.
M. Journel se trompe ainsi de partition, mais de lecture aussi. Il est frappant de constater à quel point il confond, tout au long de sa lettre, réalité et fiction. Non ! Le travail journalistique, l’enquête réelle de M. Castanet ne peut pas être comparée à la fiction de M. Houellebecq qui est bien cela, une fiction. Non ! Ce Für Elise n’est pas une partition de musique que l’histoire retiendra, c’est une auto-fiction qu’il nous faudra oublier.
Mais peut-être cette confusion entre fiction et réalité, entre une vie rêvée d’écrivain et la réalité de l’entreprenariat, lui était-elle nécessaire ? Quand la réalité rattrape l’homme, peut-être n’y-a-t-il pas d’autre choix pour l’homme que de construire une fiction, une « lettre à Élise ».
Linda Terrier a créé le Collectif Occitanie Solidarités – Initiatives Ehpad. Elle est à l’initiative, avec d’autres collectifs, de la pétition #RIP #EHPAD que l’on peut lire et signer sur https://bit.ly/referendum-ehpad
[1] Voir la plateforme « Pour des résidents en Ehpad toujours citoyens » rassemblant onze propositions visant à assurer la citoyenneté, les droits et de meilleures conditions de vie aux résidents des Ehpad, et rédigée par 16 associations et collectifs : coll. 9471, ass. Aid’ainé, coll Cercle des Proches Aidants en Ehpad, Coll. Cœur vide 19, ass. Ehpad Famille 42, coll. Ehpad - union des familles mobilisées - Alzheimer et autres dépendances, coll. Ehpad Familles 13470, coll. Familles Blois Ehpad, ass. Favicovid, coll. GASPE Riviera, coll. Nos proches en EHPAD Franche-Comté, ass. Pour nos parents, coll. Proches Aidants France, Collectif Transparence, coll. Tenir ta main, ass. TouchePasMesVieux, coll. Vital.
[2] Voir l’action de groupe pour un référendum d’initiative partagée demandant la création d’un grand service public en faveur de nos aînés rédigé et s’appuyant sur un texte rédigé par le collectif CPAE (Cercle des Proches Aidants en Ehpad), le collectif OSIE (Occitanie Solidarités – Initiatives Ehpad) et Maître Leguevaques, avec l’appui du Professeur Emmanuel Hisch, du Docteur Jérôme Marty et de Laurent Garcia.