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À Paris-sur-plage, le 67 mars 2016
Ceux-là mêmes qui se veulent représentants du peuple constituent un caste à part, des Homo Politicus dont l’ego plane au vent des Homo Economicus, au-dessus de l’Homo Populace. Ils se disputent le monopole du cœur sur les plateaux télé et leurs chamailleries attendrissent le nôtre.
Tous les cinq ans, ils réussissent l’exploit de motiver des millions de personnes pour aller les élire. C’est le casino : on nous fait miroiter un gros lot, dont on n’a jamais vu la couleur jusqu’ici, mais la rumeur veut qu’il y ait déjà eu des gagnants. Ou qu’il devra bien y en avoir un jour. Pourquoi pas nous au prochain tour ? Alors on se lève pour aller glisser un jeton de vote dans la fente, on actionne le bras de la machine à sous. La combinaison gagnante s’affiche sous les paillettes du 20 heures. Certains brandissent les poings, d’autres grommellent déjà. Ceux qui croient avoir touché le jackpot s’en vont tranquilles, sans oser réclamer leur dû à la caisse, préférant profiter de l’euphorie. On leur a promis de leur envoyer le chèque. Ils ne le recevront pas. S’ils veulent protester, les portes du casino seront soudain bien gardées. Ils ne pourront que défiler devant.
Comment les tenanciers du casino politique font-ils pour nous donner envie d’y retourner ?
Ils y mettent d’abord la forme : spots publicitaires, petits fours, costumes sur mesure et brushings. C’est Las Vegas servi en meeting provincial, c’est le Festival de Cannes quotidien. Les papillons naïfs s’y laissent prendre et viennent s’y consumer les ailes. Le calcul des hommes politiques est le même que pour le concepteur d’un bandit manchot : l’espérance de jeu est négative — en moyenne, on perd —, tout l’art consiste à rendre l’espoir du joueur positif. Les plus démunis se laissent prendre au filet de l’illusion fantasmagorique, confient leur avenir à un jeu truqué. Les pauvres misent en masse, et ce sont quelques riches qui ratissent les gains.
Quant au fond ? Pour les papillons à la conscience un tantinet élargie, qui ne se laissent plus avoir par les lumignons de façade et cherchentévi à connaître le programme de la machine ? Pour ceux-là, ils ont trouvé la parade, flattent leur espoir en deux temps : le creusent, puis trouvent à le combler. D’abord on les effraie, à grand renfort de violence dans les banlieues, de faits divers dans les beaux quartiers, de menaces aux frontières, d’insécurité partout. Les médias distribuent volontiers les flyers, ils en tirent une bonne rétribution. Les partis d’extrême droite y foncent tête baissée, font de la propension des humains à se méfier de ce qu’ils ne connaissent pas leur fonds de commerce. Les partis plus modérés n’ont plus qu’à se placer en opposition. Ils ont la bonne pensée raisonnable, mais que peu de propositions constructives. Ils présentent un contre-programme au contre-programme de l’intolérance, et les motivations créatrices s’épuisent dans cet aller-retour. Au lieu de nous encourager à générer des gains pour tous, ils nous incitent à surveiller l’allée pour que personne ne vienne nous dérober. Il reste pourtant bien peu à prendre.
L’élection présidentielle sert plus de remède-placebo à l’anxiété que de brique pour bâtir une société plus juste. Au journal télévisé, il est prouvé que les informations négatives relayées développent des réactions de peur. Comment faire, comment se protéger de ce grand méchant monde ? La vision de la réalité devient totalement biaisée, pour un peu on ne sortirait plus de chez soi sans son bouclier. Heureusement, voilà la pub Nutella. Ces enfants rayonnants, au milieu des épis de blé dorés, l’azur sans nuages, une belle musique... Et l’on s’en va noyer son anxiété dans l’huile de palme.
L’homme politique, c’est le Nutella de nos angoisses sociétales.
Quelle(s) alternative(s) ?
On peut s’en priver, refuser d’acheter. Sensibiliser un à un ses voisins jusqu’à ce qu’un boycott de masse se mette naturellement en place, qu’on retire le produit de la vente. C’est une démarche longue, au rapport de force incertain. Jusqu’ici l’abstention n’a jamais semé le doute dans l’esprit de ceux qui, de toute manière, se retrouvaient élus.
Ce serait plus simple si l’on pouvait directement voter blanc pour dire son mécontentement, jeter une fausse pièce dans la fente électorale pour enrayer la machine. Elles sont encore refusées. Les propriétaires du casino politique n’y trouveraient que des inconvénients.
Ou alors on peut tenter de se faire sa propre pâte à tartiner. Certes, elle sera forcément moins bonne au début. Il faudra y investir de l’énergie et du temps. Le résultat est inconnu. N’est-ce pas excitant ? Pourrait-ce vraiment être pire que nos actuels hommes politiques cancérigènes ?
Le Néo-libéralisme tente depuis des années de nous faire avaler sa petite pilule bleue, celle qui maintient les consciences dans l’ombre. Le viagra du citoyen, qui stimule son plaisir pendant la campagne, lui fait éjaculer sa joie à l’annonce des résultats. Et puis ça retombe. Et si l’on essayait la pilule rouge ?
On peut faire autrement, on peut vivre dans un système nouveau. Il suffit d’avoir la souplesse de se l’imaginer. Une arme puissante contre la peur est l’empathie. On peut travailler à la muscler, l’élargir à sa rue, sa ville, son pays, le monde humain, animal, naturel, à l’univers.
On peut cesser de confier les rênes de notre société à ces traditionnels hommes politiques, qui font peu dans la compassion bienveillante envers leurs concitoyens. Leur titre classique rappelle qu’ils sont essentiellement masculins. Un coup d’œil à Public Senat montre qu’ils sont pour la plupart blancs, vieux. Je serais prêt à parier qu’une large majorité d’entre eux est carnivore et se rend à l’Assemblée en voiture. D’eux-mêmes, ils ne semblent pas déployer une volonté convaincue à se diversifier pour montrer l’exemple aux citoyens. Inversons les rôles. Montrons-leur l’exemple, nous.
Les actes de révolte, pour répandre la tolérance au-delà, par définition, de tout cadre préconçu, sont de chaque instant. Ils nécessitent d’avancer avec la force de se maintenir sur le chemin du juste pour tous. Dans les moments de doute, on trouvera toujours une bonne âme sur laquelle s’appuyer, une flammèche contre laquelle raviver son espoir. Flamme par flamme, c’est un nouveau soleil radieux que l’on projette de former.
On peut s’unir sous une bannière commune, Nuit Debout ou autre, ou viser le même idéal sans le couvert d’une appellation. Pour faire couler le casino politique, nous n’userons pas de dynamite. Nous ferons en sorte que l’extérieur devienne si beau qu’il n’y ait plus de raisons pour se réfugier sous la lumière artificielle de vains néons.
Il n’existe pas, à ma connaissance, d’activité plus noble. Nos intelligences à tous peuvent s’y mobiliser en entier, s’unir, croître. Contrairement à ce qu’a pu affirmer le président précédent, qui rêve encore d’être le prochain, nous sommes bien loin de n’avoir « rien dans le cerveau ». C’est qu’on menace de lui sucrer son métier. Ça fait cet effet-là, la peur du licenciement : on peut vite perdre la raison. Retrouvons-la tous ensemble.