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Billet de blog 16 avril 2016

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Tempérance d'un corps échauffé

Je n’ai plus envie de m’amuser. Pas maintenant.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Tempérance d'un corps échauffé © Valérie Girard

 Vernou-sur-Brenne, Château de Jallanges – Jeudi 38 mars 2016, 2h00

Je n’ai plus envie de m’amuser. Pas maintenant. Je réserve cela pour plus tard, entrepose cette débauche d’énergie festive au congélateur de mes humeurs, telle une bouteille de champagne mal venue dans une période sans célébrations, pour en libérer les bulles à heure juste, lorsque l’occasion sera réellement bonne. Lorsque notre société, puis nos sociétés, auront suffisamment évolué pour qu’il soit approprié de faire sauter vainement le liège d’un mousseux.

Je suis loin pour autant de manquer d’enthousiasme. Je l’éprouve au contraire décuplé. Seulement, il se porte vers d’autres activités que l’insouciance magnifiée par le vibrato des basses et les faisceaux de spots lumineux. Ma joie s’applique à construire avec d’autres ce que pourrait être le monde viable de demain. Jamais je n’ai été si conscient de ce qui m’entoure, et jamais je ne me suis senti si épanoui. Je me méfie de la précipitation qui confond corrélation et causalité, mais je ne trouve d’autres raisons à cet effet radieux. Libre à l’esprit statisticien d’en juger.

À l’heure où j’écris ces lignes, la voix nasillarde de Claude François résonne dans la pièce voisine. C’est la soirée de remise des ailes de jeunes pilotes de chasse, parmi lesquels mon cousin, des aventuriers du ciel qui pourront bientôt prendre leur envol casque sous le coude, missile sous l’aisselle profilée. La fête tonne, la fête telle qu’on la découvre enfant, la fête telle que l’ont déjà connue mes parents. Je songe aux déhanchés de mon propre bassin, lâchés sur ces mêmes rythmes plus tôt dans ma vie. Pourtant ce soir, à défaut de mieux, je n’ai envie que de faire danser mon poignet sur cette page. Valser avec les mots. Swinguer avec la pensée.

Les paroles aux enceintes sonnent creux, renvoient les échos d’un monde dont les cris s’étouffent. Le phare d’Alexandrie luit ailleurs, à travers une nuit que l’on peut désormais choisir de passer debout, dans un lointain vers lequel nous sommes des milliers à avancer, étoile de fond d’une démocratie véritable, juste, bienveillante. Heureuse.

Le bonze qui travaille à transformer son esprit, et par là son univers, opère en silence. Nos musiques célèbrent notre vitalité, notre appétit débordant pour les réjouissances. J’y ai moi-même déversé des flots torrentiels d’émotions, parce que je ne percevais pas qu’il existât pour cela d’autres exutoires. Je crois aujourd’hui que nos mélodies devraient cadencer notre marche, non la distraire en mouvements superflus. Je n’aime rien tant que l’absurde du contingent, mais il devient risible dès lors que l’ampleur de la tâche nous oblige à nous débattre dans son ombre. Il faut accepter que le temps soit venu de se mettre au travail. Pour de bon. Pour de juste. Et il n’est nullement question d’abandonner à cela sa joie d’être. Rire oui, de notre société telle qu’elle s’affiche ce jour. Sourire à celle qui pourrait être, qui peut être. Qui forcément sera.

Cette nuit, je préférerais rester éveillé au sein d’une ronde de personnes qui partagent mes luttes, et pas nécessairement mes idées, plutôt que celles qui dissipent leur force de frappe éminemment nucléaire sur le dancefloor voisin. Place de la République aussi on danse, on joue, on chante... À minuit trente, après l’assemblée générale. Avant cela, on s’escrime, on apprend, on s’élève... Il n’y a pas de honte à chercher à rendre le monde meilleur. Il n’y a pas à se cacher de préférer réfléchir de concert plutôt que fléchir les genoux en concert. Plus on est debout, plus on rit. Le cerveau est un de ces muscles qu’il est plaisant d’assouplir, de libérer de ses chaînes endurcies au marteau du préjugé, de purifier des toxines du préconçu, pour y dessiner le galbe de propositions saines, libres, riches. Le cœur est convié à s’allier à l’effort. Et s’il est besoin d’aller se détendre les autres parties du corps après ce travail immobile, je reste persuadé que l’on s’amusera plus encore quand tout le monde pourra se joindre à la danse.

Émergent les premières notes de Cotton Eye Joe. Ma cousine vient me tendre la main. J’y vais. Deux par deux, nous soulevons nos bras pour laisser le passage à d’autres. Les éclats de rire se mêlent à ceux du violon fou. Tous ensemble, nous entrons dans une liesse de laquelle le jugement est exclu, et que plus d’efforts pourraient rendre permanente.

Le DJ zappe. « On va s’aimer, sur une étoile ou sur un oreilleeer... » Soit. Elle et moi, on y arrivera peut-être. Mais nous tous, quand ça ?

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