Clem Nic (avatar)

Clem Nic

Travaille à devenir un être meilleur

Abonné·e de Mediapart

14 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 avril 2016

Clem Nic (avatar)

Clem Nic

Travaille à devenir un être meilleur

Abonné·e de Mediapart

Merci Patron ! de ferme

Lettre d'une employée de ferme à son patron

Clem Nic (avatar)

Clem Nic

Travaille à devenir un être meilleur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Merci Patron ! de ferme © Valérie Girard

À Magny-sur-Tille, le jeudi 52 mars 2016

Cher M. Nanard,

Je vous adresse ce courrier afin de vous exposer la situation dans laquelle je me trouve, et dont vous êtes le principal responsable.

 Toute ma vie j’ai travaillé pour vous. Je suis née dans votre propriété comme votre propriété. Vous m’avez immédiatement privé du bonheur de grandir auprès de ma mère pour me délocaliser dans un hangar voisin. Malgré les murs en tôle, ses cris de détresse ont hanté mes rêves d’enfant. Dès que j’ai eu 2 ans, vous m’avez inséminée artificiellement afin que je donne du lait. Pas plus que ma mère je n’ai eu la chance de voir grandir mes petits. Je n’ai cessé de travailler pour vous sans relâche, toujours poussée à plus de productivité, de rentabilité. Et de pénibilité. J’ai laissé vos machines tentaculaires me distendre les pis. Le médecin du travail m’a diagnostiqué une infection des mamelles à force d’être traite intensivement, une ankylose des pattes à force de rester cloîtrée à mon poste. Il m’a prescrit des hormones et des traitements chimiques pour soulager mes douleurs, maintenir un rendement élevé, malgré le pus qui s’écoulait désormais avec mon lait. J’ai continué de respecter les horaires imposés, jusqu’à mon 3e vêlage. La traite devait laisser place à la retraite. Or j’ai appris par M. Denis, employé de l’abattoir voisin, que vous voudriez me couper la tête. J’ai encore 15 ans à vivre. Au lieu de ça, vous envisagez de m’envoyer à la mort dès la semaine prochaine, découper mon cadavre en petits morceaux pour les disséminer aux quatre coins de la France, pas même dans des valises, mais des emballages plastiques transparents. Où s’arrête donc le champ des possibles de votre exploitation, agricole, animale ? Le sens du mot « élevage » est-il d’élever, ou bien d’éradiquer ?

 Je ne compte pas me laisser conduire à ma perte sans agir. Si mon écriture est grossière, ma sensibilité ne l’est pas plus que la vôtre. Je réclame dès à présent, de votre part, l’annulation de ma condamnation ainsi que le versement de ma pension de retraite, à savoir 32 352,45 kilos de fourrages. Dans le cas où vous refuseriez d’accéder à ma demande, je me verrais contrainte d’envoyer une copie du présent courrier à différents organismes pour faire état de ma situation. Aux médias : France Meuh, La traite Express, France agri-Culture, AgricoVox, Agence France Traite et le Journal de Claire Charal. Aux syndicats : Confédération des Génisses au Travail (CGT), Union Nationale Laitière (UNL) et les groupements de cheminots que je connais bien pour voir passer leurs trains tous les jours. Ainsi qu’à des personnalités politiques : Manuel Valche, Martine Au Brie, Jean-François Coopérative, Marine Le Pis, Christine Bouquetin, José Bovin et jusqu’à Lait-lysée.

 L’idée de cette lettre m’est venue en regardant à travers votre fenêtre, hier soir, le film « Merci Patron ! ». Dans ce documentaire, M. Ruffin aide la famille Klur, dont les parents ont été licenciés de leur usine et sont désormais menacés d’être mis à la rue, à obtenir une compensation financière de leur ex-patron ainsi qu’un CDI pour le mari. Ils ont obtenu gain de cause, et je crains que l’injustice ainsi que le péril dans lequel vous m’avez plongée ne vous obligent à agir dans le même sens. J’ai toute confiance en votre raison qu’elle se fasse entendre.

 Je vous prie d’agréer, cher Meuhsieur, l’expression de mes meuglements distingués.

                     Marguerite, box 13

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.