
Agrandissement : Illustration 1

Cet après-midi, Liberté s’est invitée chez Répression, sa voisine d’en face, de l’autre côté de la rue du Juste.
— Houlà ! C’est tout vide ici ! s’exclame Liberté en entrant dans la chambre. J’ai apporté mon cirque Playmobil. On peut le construire ?
— Vas-y si tu veux.
Liberté s’assoit et sort un carton de son sac.
— Regarde, il y a plein de personnages. Un couple de trapézistes, des clowns, Monsieur Loyal, et même un vendeur de friandises. Et eux ils font le public. Ils viennent s’évader et s’amuser avec toute leur famille !
Répression reste debout dans son coin.
— Tu ne veux pas m’aider ?
— Pas trop. Mais je regarde.
— D’accord.
Pendant presque une heure, Liberté s’échine à monter le chapiteau. Les plans sont compliqués pour une enfant de son âge toute seule, mais elle y arrive finalement.
— Tadam ! C’est beau, nan ? Maintenant tout le monde peut venir !
Répression reste silencieuse.
— Ben, tu ne veux pas venir ?
— Non non, mais vas-y, je regarde.
— Comme tu veux. C’est dommage.
Liberté prend des pleines poignées de figurines dans le carton et les installe sur les gradins.
— Regarde tout le monde qui est venu ! Tu peux encore aussi si tu veux. Et maintenant, place au spectacle !
Elle tente de prendre une voix grave en agitant Monsieur Loyal entre deux doigts.
— Mesdames-messieurs bienvenue au cirque public ! Ce que nous allons vous montrer ce soir est du jamais-vu, un monde féérique qui va prendre place sous vos yeux ! Et on accueille tout de suite les célèbres clowns Espoir et Débat ! Tata-talalalala-tatala, tata-talalalala-tatala...
Liberté opte pour une voix nasillarde plus réussie.
— Bonjour les enfants et les parents ! Aujourd’hui, Espoir et moi on aimerait vous chanter une chanson. Attention, c’est parti ! La la la la... Tu ne veux pas venir chanter avec moi Répression ? … Répression ?
Liberté relève seulement la tête.
— Wouah, tous les jeux !
Répression a ouvert le placard au fond de sa chambre. Il y a une malle pleine de marionnettes, des cintres avec des déguisements, et une étagère avec des masques, un Monopoly, une mallette de poker et plein de coffrets avec des serrures.
Comme Liberté s’avance pour regarder de plus près, Répression referme la porte.
— J’aime pas trop qu’on regarde mes jouets.
— D’accord, je te laisse. La la la la !
Pendant que le duo de clowns finit son numéro, Répression s’assoit de l’autre côté du chapiteau. Elle ouvre une boîte en fer et sort des figurines une à une. Elle les dispose en ligne, à égale distance les une des autres.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Mes petits soldats de plomb.
— Viens voir ?
Liberté tend la main pour en attraper un, mais Répression enlève la boîte.
— Non, c’est à moi. J’ai pas joué avec ton cirque moi.
— Mais je t’ai proposé...
— Mais j’ai pas joué avec ton cirque.
Liberté, immobile, la regarde placer ses figurines.
— Tu vas faire quoi avec ?
Répression est trop captivée pour répondre. Les petits soldats dessinent un quadrillage parfait.
— Ça a l’air lourd. Ça peut casser les gradins si tu les mets dedans.
Répression sourit en relevant la tête.
— Ben oui.
— Tu vs faire ça ?
— Ben oui.
— Ben, pourquoi ?
— Ben parce que c’est rigolo.
Liberté reste un temps incrédule.
— Tu vas pas vraiment faire ça, hein ?
— En formation !
— Attends ! Alors je peux prendre ton château fort Playmobil ? Ce sera plus équitable.
Libertée s’est levée pour aller vers le placard. Elle a juste le temps de passer la main quand Répression arrive.
— Non ! Tu touches pas à mes jouets.
— Bon d’accord. Je vais prendre mes Kapla alors.
Liberté se rassoit et sort le deuxième carton de son sac. Elle commence à empiler les pièces de bois.
— Ça ne tient pas très bien...
— À l’attaque !
— Attends, c’est pas du jeu, je...
Répression s’empare de la première rangée de soldats et la rapproche du fortin de fortune. À l’arrière, elle appuie avec son doigt sur de petites catapultes qui lancent des pétards clac-doigt. Plic ! Ploc ! Ils atterrissent tout autour du chapiteau.
— Ah ah, mais j’ai un casque !
Liberté ouvre la main qu’elle tenait fermée depuis qu’elle s’était approchée du placard. Elle clipse le casque de chevalier sur la tête du clown Espoir.
— Même pas mal !
Répression est absorbée par ses manœuvres. Elle place des petites billes de poudre à gratter sur les catapultes et les envoie.
— Ah, ça pique ! s’exclame Liberté en se grattant. Attention le public, il faut sortir !
Elle fait courir les petits personnages deux par deux jusqu’à l’autre bout de la chambre.
— Oh non, Débat est resté coincé ! Vite, il faut l’aider !
Elle attrape Espoir et Monsieur Loyal et les fait entrer sous le chapiteau. Les petits soldats ont arraché un mur de l’autre côté. Liberté saisit tout juste Espoir quand Répression donne un coup sec en tenant une figurine avec une baïonnette.
— Aïeuh !
La pique a griffé la main de Liberté.
— Pff n’importe quoi, c’est pour de faux.
— Ben moi ça m’a fait vraiment mal.
Elle passe ses lèvres sur la griffure. Répression en profite pour intercaler tous ses soldats entre Liberté et le chapiteau.
— Gagné !
— Bah, on jouait pas à la guerre.
— Si !
— Nan.
— Si !
— Nan.
— Si !
Liberté se relève et ramasse ses Playmobil, les laisse tomber dans son sac et sort de la chambre. Dans le couloir, elle entend le bruit des Kaplas qui volent et du chapiteau détruit.
— Nananananèreuh ! Nananananèreuh !
Elle s’en fiche, il lui reste plein de personnages pour jouer.