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Billet de blog 3 mai 2022

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Écologie : la difficile prise de conscience des blogueuses mode

Pour ceux qui ne seraient pas familiers du lexique « Web 2.0 », un haul est une vidéo dans laquelle un blogueur présente à ses visiteurs et abonnés les résultats d’une séance de shopping. Ces vidéos de format long fleurissent surtout sur YouTube, mais elles sont également relayées sur Facebook, Instagram et TikTok.

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Pour ceux qui ne seraient pas familiers du lexique « Web 2.0 », un haul est une vidéo dans laquelle un blogueur présente à ses visiteurs et abonnés les résultats d’une séance de shopping. Ces vidéos de format long fleurissent surtout sur YouTube, mais elles sont également relayées sur Facebook, Instagram et TikTok. Elles sont souvent, mais pas toujours, sponsorisées par les marques auxquelles appartiennent les articles présentés. 

Ce type de publicité séduit particulièrement les enseignes de fast fashion, qui sèment les codes promos et multiplient les collaborations avec des influenceurs novices ravis de recevoir des produits gratuits à tester face-caméra, ou avec des blogueurs populaires qui exigent salaire mais sont toujours plus rentables que la publicité classique. 

Le procédé est peu coûteux et particulièrement efficace. Il permet de toucher un vaste public, et surtout d’instaurer un pseudo-climat de confiance en réinventant le concept du « produit qui parle de lui-même » grâce à un intermédiaire « indépendant », plus « vrai » que la pub. L’influenceur lambda n’est pas un représentant des marques, mais un ami de bon conseil qui vous propose de partager un moment de légèreté avec lui.  Il est sympathique, toujours de bonne humeur et prêt à vous entraîner dans sa frénésie d’achat.

Bien sûr, le grand succès de quelques-uns est de nature à créer des vocations. Être payé pour parler des cadeaux que l’on a reçu, l’idée est séduisante. Mais ce succès cache une dépendance, une fois liés par un contrat à la marque qui les engage, les influenceurs ne sont plus tout à fait libres de s’exprimer comme ils le souhaitent : les contrats pourraient s’arrêter, l’argent ne rentrerait plus dans les caisses et il leur faudrait changer de train de vie. Ils ont donc tout intérêt à adhérer aux valeurs des marques dont ils font la promotion, ou à les ignorer, à fermer les yeux, devenant ainsi les meilleurs défenseurs du système qui les aliène. 

Les blogueuses ou vlogueuses  mode sont sans doute l’incarnation la plus frappante de ce phénomène. Certaines vlogueuses déballent toutes les deux semaines des colis débordant d’habits et de cosmétiques à tester dont la plupart finiront par être oubliés au fond d’un placard, s’ils ne sont pas revendus dans la minute, alimentant un marché de la seconde main qui est certes prometteur mais ne freine nullement la production puisqu’il ne fait pour l’instant qu’encourager et absorber les excès d’une partie de la population. 

Si nous ne portons qu’un tiers des vêtements de notre garde-robe[1], on ose à peine imaginer la proportion d’habits qui, dans le placard d’une vlogueuse mode, ne voit jamais la lumière du jour. Cela ne semble pas cependant les préoccuper beaucoup. Nous l’avons dit, le monde de l’influence est celui de la légèreté. Dans leur grande majorité, les blogueuses et blogueurs mode ne se soucient ni de la provenance de leurs achats ni des conditions dans lesquelles ils ont été produits. Ils affichent leur mécontentement lorsque cela occasionne des retards de livraison, mais se réjouissent le reste du temps des tarifs alléchants pratiqués. Ils ne s’intéressent pas à l’empreinte carbone de leur petit « craquage qui fait mal au porte-monnaie » ou à son coût social. Pourtant, à moins de vivre dans une bulle, ils ne peuvent l’ignorer.

Il est effarant de constater que cela ne les pousse pas à ralentir, et qu’elles arrivent tout de même à se regarder dans la glace bien plus souvent que de raison[1].

Jusqu’à très récemment, leurs abonnés ne s’en souciaient pas davantage. Les commentaires sous les vidéos étaient toujours enthousiastes. Ces dernières années cependant, les vlogueuses mode ont dû faire face à un public de plus en plus sensibilisé aux enjeux socio-environnementaux. Elles ont été confrontées à un nombre croissant de critiques concernant leur activité de la part de leurs propres fidèles.

Les critiques des abonnées souvent assez confuses remettent rarement en question notre modèle de société, elles se concentrent surtout sur certaines entreprises, chinoises pour la plupart, jugées peu éthiques parce que ne respectant pas le droit du travail.

A une vlogueuse présentant dans une vidéo de 2021 des achats réalisés sur le site Shein[1], une abonnée écrit ainsi :

- « Le problème avec ce genre de site c’est que c’est de la fast fashion et c’est extrêmement polluant. Autant à produire qu’à faire livrer, sans parler des travailleur forcés comme les ouighours. Certe se n’est pas cher mais c’est aussi très peu éthique et moral. J’adore ta franchise et ta personnalité du coup je suis un peu déçue que tu mette en avant ce genre d’entreprise ».

Une autre ajoute un an plus tard :

- « Sheikh exploite les Ouïghours »

Les reproches les plus sévères viennent de visiteurs occasionnels atterrés de découvrir l’existence et la popularité de ce genre de vidéos :

- « Et vive la société du jetable. » ironise Nathalie.

- « Arrêtez de commander sur SHEIN ! Renseignez vous mais cette entreprise n'est pas toute rose.... » ajoute Chloé.

Aucune vlogueuse ne peut y échapper, leur activité éminemment futile se heurte à l’air du temps, à cette « mode », que nous espérons moins éphémère que d’autres, de la prise de conscience écologique.  

Les blogueuses réagissent diversement aux attaques qu’elles subissent. Si certaines se contentent de les ignorer totalement ou de supprimer peut-être les commentaires qui leur déplaisent, d’autres s’efforcent de montrer qu’elles ont entendu « les filles » en abordant le sujet.  

Les TWINS YOLO, deux jumelles d’une vingtaine d’années dont le compte YouTube totalise 337K abonnés expliquent par exemple au début d’une vidéo sortie fin avril : 

- « […] on adore cette marque [Shein], c’est vrai qu’on diminue un peu notre consommation par rapport à ce qui se passe, etc. ».

Diminuer sa consommation pour les deux sœurs, cela signifie faire un haul par mois en moyenne, avec à chaque fois pas moins de 30 nouveaux articles.  

Et ça passe… Ici les abonnées sont unanimes :

- « J'adore toutes vos tenues je vais utiliser votre code promo sur SHEIN ! Super vidéo comme à chaque fois vous êtes au top ! »

- « haha j’utilise TOUT LE TEMPS votre code ! »

Toutes les vlogueuses n’ont pas cette « chance ». Après avoir vu partir certains de ses fidèles abonnés, MissouMakeup (1,6 million d’abonnés, 1 haul par semaine) a pris la décision de mettre fin à sa collaboration avec la marque controversée. Elle explique :  

- « J’ai décidé de ne pas retravailler avec eux, pour une raison qui est très simple, et je pense qu’à un moment donné faut un peu ouvrir les yeux : notre planète ne va pas bien du tout. Alors oui je suis mal placée certains diront pour dire ça parce que je fais énormément de HAUL, tout ça, mais je fais des efforts, preuve puisque je ne veux plus travailler en fait avec des sites chinois. Je ne veux plus faire de HAUL avec des habits ou n’importe quoi qui vienne d’aussi loin. Donc tout ce qui est Yesstyle, Aliexpress, Shein c’est fini pour moi. Je pense qu’on doit tous faire des efforts et moi j’ai plus envie en fait de participer à ça. Et je suis dégoûtée, parce que moi franchement Shein je les ai dans mon cœur […] ».

Ce serait presque drôle si ce n’était pas aussi triste.

[1] Trimer pour Shein: aux sources de la mode jetable | Public Eye

[1] (1) BIG TRY ON HAUL SHEIN | +600€ | VESTES, PULLS, JEANS, ROBES, SWEAT, T SHIRT … | ITSLENITAA - YouTube

(1) ENORME Haul SHEIN d'été !! - YouTube

[1] 68% de votre garde-robe n'est jamais porté (orange.fr)

Est-il vrai qu’un vêtement n’est porté en moyenne que «de sept fois à dix fois» avant d’être jeté ? – Libération (liberation.fr)

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