A chaque élection, les chiffres de l’abstention sont attentivement scrutés par les commentateurs politiques, qui offrent aussitôt leurs plus belles analyses sur le désintérêt ou la méfiance que la vie politique inspire ou semble inspirer à certains Français. Ce dont on parle moins en revanche c’est de cet acte de foi que constitue le vote blanc. Que des électeurs puissent se rendre à leurs bureaux de vote pour glisser dans les urnes des bulletins qu’ils savent ne compter pour rien, n’interroge pas, ou presque. Il est vrai qu’ils sont peu nombreux comparés aux abstentionnistes, mais tout de même, ils existent. Leurs voix ne devraient pas être moins audibles que celles des partisans d’Anne Hidalgo ou de Valérie Pécresse, du reste moins nombreux.
Le nombre des bulletins blancs serait d’ailleurs probablement plus important si l’on reconnaissait la pratique. On verrait peut-être alors que les Français ne se désintéressent pas de la politique et ont à cœur de participer à la vie des institutions. Cela motiverait sans doute les gens à se déplacer, à s’exprimer dans les urnes, car quoi que l’on soit libres de s’exprimer à travers le vote sous sa forme actuelle, cette liberté est toute relative : elle est d’expression mais non de diffusion.
Tant que les votes blancs ne seront pas comptabilisés comme suffrages exprimés, le vote ne sera pas un moyen d’expression parfaitement représentatif de l’opinion publique. Le système électoral est en fait très représentatif de la non-représentativité du système en général. Il laisse la possibilité de s’exprimer, mais pas celle d’être réellement entendu, puisqu’il ne considère pas le vote pour personne comme l’expression d’une opinion légitime.
Pourtant, les électeurs ne renoncent pas au vote blanc. A chaque élection de nombreux votants (543 638 soit 1,5% au premier tour des élections présidentielles de 2022) font le choix de se déplacer pour exprimer un avis que l’on n’a pas prévu d’écouter alors qu’ils auraient pu s’abstenir. Ce faisant, ils montrent que si les propositions ne leur conviennent pas, ils n’en souhaitent pas moins participer.
Et ils ne le font pas tout à fait en vain. Leur geste de désapprobation muette ne passe pas en effet absolument inaperçu. Depuis 2014, les votes blancs sont distingués des votes nuls et comptés. Cela ne change pas grand-chose puisqu’ils ne sont pas davantage reconnus, c’est-à-dire qu’ils n’apparaissent pas plus dans les pourcentages finaux que les votes nuls ou les chiffres de l’abstention, ce que semblent oublier les candidats lorsqu’ils annoncent leurs résultats. Nous en entendons d’ailleurs assez peu parler les soirs d’élections. Alors que l’abstention fait couler beaucoup d’encre, les votes blancs semblent intéresser assez peu les analystes. Il est vrai que la proportion de suffrages blancs est généralement plutôt faible, mais ce ne serait peut-être pas le cas s’ils étaient comptabilisés dans les suffrages exprimés, ou s’il constituait, comme dans certains pays d’Amérique latine, une sorte de veto, un joker équilibrant le jeu démocratique.
N'hésitons pas à regarder du côté des pays dans lesquels voter blanc ne revient pas à s'abstenir :
- En Colombie, conformément à l’arrêt C-490 de 2011 de la Cour constitutionnelle déclarant l’exécutabilité de la loi 1475, le vote blanc, comptabilisé dans les suffrages exprimés, constitue « une expression valable de la dissidence politique […] à travers laquelle la protection de la liberté de l’électeur est promue » (loi 1475). Si le vote blanc dépasse 50% des suffrages enregistrés, les électeurs sont de nouveau invités à se rendre aux urnes pour désigner leur(s) représentant(s) parmi des candidats différents de ceux qui s’étaient présentés lors des précédents scrutins. Cela ne peut toutefois se produire qu’une seule fois. Si lors de la nouvelle élection, le vote blanc est à nouveau majoritaire, c’est le candidat ayant obtenu le plus de voix qui l’emporte [1].
- Au Pérou, où le vote est obligatoire et l’abstention sanctionnée par une forte amende, les votes blancs et nuls (comptés séparément) ne sont pas considérés comme des votes « valides », mais ils peuvent provoquer l’annulation d’une élection s’ils dépassent les 2/3 du total des votes enregistrés[2].
- En Uruguay, le vote blanc entre dans le calcul de la majorité lors du premier tour des élections présidentielles, mais il ne peut pas entraîner l’annulation d’une élection.
On le voit, le vote blanc joue, en Amérique latine, un tout autre rôle qu’en France. Il permet, dans l’absolu, une plus juste expression de l’opinion politique des citoyens. Cela ne signifie pas cependant que les pays mentionnés ci-dessus sont de bons exemples de démocratie.
Selon l’« Indice de démocratie 2021[3][4] » (The Economist), l’Uruguay est la seule démocratie complète (ou « pleine ») des trois pays précédemment cités. Avec un indice de 7,04 et de 6,53 en 2020 la Colombie et le Pérou entrent toutefois dans la même catégorie que la France, qui avec son score de 7,99, fait partie des « démocraties défaillantes ou imparfaites ».
Parmi les pays européens possédant un Indice démocratique plus élevé que la France, trois nations, la Suède (9,26), la Suisse (8,86) et l’Espagne (8,12) confèrent une forme de reconnaissance au vote blanc.
- En Suède, le vote blanc est considéré comme valide lors des référendums. Les électeurs peuvent ainsi faire savoir à leurs gouvernants que la question sur laquelle ils doivent se prononcer ne leur semble pas formulée correctement.
- En Suisse, les bulletins blancs entrent dans le calcul de la majorité des suffrages exprimés nécessaire à l’élection d’un candidat dès le premier tour.
- L’Espagne considère quant à elle que les votes blancs sont « valides », mais elle ne les inclut pas dans les suffrages exprimés. Le seuil à atteindre pour qu’un parti puisse avoir un représentant lors des élections proportionnelles est donc plus élevé (si des électeurs votent blanc) mais les résultats ne sont pas calculés à partir du total des votes enregistrés.
Faute d’une reconnaissance adéquate par les institutions, de nombreux citoyens désireux de faire évoluer la notion de démocratie, ont par ailleurs décidé de prendre les choses en main en s’associant pour militer plus efficacement.
En France, le Parti du Vote blanc propose des « candidats blancs » aux différentes élections. Enregistrés sous un nom, les votes blancs peuvent ainsi être comptabilisés. Mais toutes les élections ne trouvent pas leur prête-nom, le droit de véto arbitraire que constitue le parrainage par 500 élus a par exemple empêché la candidature blanche aux élections présidentielles de 2017.
Cela changera peut-être, le vote blanc étant de plus en plus populaire. Mais nous n’en prenons pas le chemin : contrairement à Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Nicolas Dupont-Aignan, Nathalie Arthaud, Jean Lassalle et Jean-Luc Mélenchon, qui s’y déclaraient favorables, Emmanuel Macron a déjà annoncé qu’il ne le ferait pas. Quant à Marine Lepen, elle n’aborde pas la question.
Il ne s’agirait pas d’ailleurs d’en faire n’importe quoi. Ne prenons pas exemple sur la Grèce qui attribut les votes blancs aux vainqueurs pour renforcer sa majorité.
[1] Registraduría Nacional del Estado Civil (registraduria.gov.co)
De acuerdo con la sentencia C-490 de 2011 de la Corte Constitucional, que declaró la exequibilidad de la Ley 1475 (Reforma Política), el voto en blanco es “una expresión política de disentimiento, abstención o inconformidad, con efectos políticos” y agrega que “el voto en blanco constituye una valiosa expresión del disenso a través del cual se promueve la protección de la libertad del elector. Como consecuencia de este reconocimiento la Constitución le adscribe una incidencia decisiva en procesos electorales orientados a proveer cargos unipersonales y de corporaciones públicas de elección popular”.
De acuerdo con el artículo 9 del Acto Legislativo 01 de 2009, “Deberá repetirse por una sola vez la votación para elegir miembros de una Corporación Pública… cuando del total de votos válidos, los votos en blanco constituyan la mayoría”. Esto quiere decir que si en la repetición de la elección llegara a ganar el voto en blanco, quedaría como ganador el candidato que alcanzó la mayoría de votos válidos en el certamen electoral
[2] solotextos (georgetown.edu)
Artículo 17o.- El Presidente y Vicepresidentes de la República son elegidos por sufragio directo para un período de cinco años. Para ser elegidos se requiere haber obtenido más de la mitad de los votos válidos, sin computar los votos nulos y en blanco.
Artículo 287o.- El número de votos válidos se obtiene luego de deducir, del total de votos emitidos, los votos en blanco y nulos.
De la Nulidad Total
Artículo 365o.- El Jurado Nacional de Elecciones declara la nulidad total de las elecciones en los siguientes casos: 1. Cuando los votos nulos o en blanco, sumados o separadamente, superan los dos tercios del número de votos válidos;
[3] Democracy Index 2021 - Economist Intelligence Unit (eiu.com)
[4] Classement des États d'Europe par indice de démocratie (atlasocio.com)