« J’assume »
A l’occasion du débat de l’entre-deux-tours le candidat Emmanuel Macron ne s’est pas privé d’employer son verbe préféré, conjugué à la première personne : « J’assume ». C’est dit, mais qu’est-ce à dire ?
J’assume tout ce que j’ai fait et tout ce que j’ai dit : mon programme, mes mensonges et mes contradictions ?
La formule est des plus pratiques puisqu’elle permet de tout faire passer sous le tapis, un beau tapis tout neuf, beaucoup plus épais que le traditionnel voile sous lequel on a coutume de dissimuler la vérité.
Que la politique soit en quelque manière comparable au tissage, nous l’avons appris dans Le Politique de Platon. Le philosophe voyait dans le bon politique, un habile artisan capable de tisser ensemble les fils de la cité pour obtenir un résultat harmonieux, équilibré. Si l’Athénien ne partageait pas notre conception de la démocratie, il avait néanmoins à cœur de débusquer les sophistes, ces individus qui parlent pour ne rien dire et vendent leurs discours à prix d’or. Il dénonçait les tyrans, qui sont tous également des sophistes cherchant à capter l’attention, à captiver en créant des simulacres qui ne se donnent jamais pour ce qu’ils sont : des illusions. Le sophiste est dangereux parce qu’il fait bon marché de la vérité : il n’y croit pas lui-même. Parmi eux, les plus à craindre sont les plus talentueux, ceux qui donnent de l’être au non-être et se font passer pour le Politique alors qu’ils n’en fournissent pas une imitation vertueuse et trahissent leur modèle en cherchant à abolir aux yeux de tous la distance qui existe toujours entre l’idéal et la copie[1].
Aussi, tous les tisserands ne se valent pas. Pourvu qu’il paraisse bien réalisé, tous ne se préoccupent pas de la solidité de leur ouvrage ou de son équilibre. Ceux qui négligent ces deux critères prennent le risque de voir leur tissu se déchirer ou se trouer. Lorsque cela arrive, faute de pouvoir défaire la nuit ce qui a été fait le jour comme Pénélope sa tapisserie, il leur faut repasser par-dessus l’ouvrage et feindre l’ignorance.
L’épaisseur du tissu doit paraître à certains un gage de qualité, mais ils négligent certains critères. Pour juger du discours ou du programme d’un politique comme de la qualité d’un tissu, il y a trois choses à retenir :
- Il n’y a pas de « bon » tissu, tout assemblage a ses avantages et ses inconvénients.
- La qualité d’un tissu ne dépend pas que de la matière première utilisée : le fil et la compétence du tisserand ont presque autant d’importance.
- Le prix que l’on paye pour obtenir un produit n’est pas toujours un indicateur fiable de sa qualité.
Je ne sais quel marchand de tapis a conseillé au président d’ « Assumer », mais il a été écouté, lui, et attentivement, d’où la récurrence du motif.
Il ne vous aura pas échappé que Macron ne regrette pas, n’avoue rien et ne s’excuse jamais. De fait, il ne peut se mettre « hors de cause » (ex causa) puisqu’il est pleinement responsable de ses actes.
Cette responsabilité est brandie comme une vertu derrière laquelle tout s’efface. Et le plus fou c’est que ça marche. Pas toujours et pas avec tout le monde, mais il faut tout de même reconnaître à la rhétorique marconienne une certaine efficacité. Le président sortant accomplit en fait un véritable acte de langage[2]. Son énoncé favori agit sur le réel dans la mesure où il fait croire en la solidité des positions du candidat. Que ces positions ne soient pas toujours les mêmes n’y change rien, car cet état de fait est nié en deux mots.
La performance sans cesse rejouée, sans cesse répétée du candidat-comédien manque de cohérence, mais il exécute toujours ses scènes fétiches avec tant de conviction qu’il n’est pas permis de douter : Emile Coué a trouvé en Macron son plus fidèle disciple. S’il n’y a pas « d’argent magique » nous ne sommes pas loin cependant de la « formule magique » qui permet au sorcier de transgresser les lois de la réalité.
Macron croit-il à ce qu’il dit ?
Nous aurions alors affaire à une sorte de syndrome de Peter Pan. Le candidat de la « vraie vie » ne serait dans cette optique qu’un enfant-adulte fuyant ses responsabilités dans la pensée magique et niant ses contradictions à coup d’affirmations.
Je ne crois pas que ce soit le cas. Il me semble plutôt que notre président tisse sa toile, sans perdre un instant le fil de son ouvrage, qui de toute évidence n’est pas de soie.
Mon billet manque d’exemples et n’est pas sous ce rapport plus vrai que les discours qu’il critique. Il vous vend du vide, des concepts séduisants qui ne font autorité que parce que je le veux bien. J’ai bon espoir cependant que ce vide soit riche de sens, qu’il mette en lumière des procédés que nous avons tous identifiés. Mais pour cela, il faut que nous sachions de quoi nous parlons, il nous faut des exemples. C’est là que les difficultés commencent.
Personne n’a accès à une base de données complètement fiable, car il n’y a rien qui ressemble plus à la vérité qu’un mensonge et que nous n’avons ni le temps ni l’énergie de vérifier tout ce que nous lisons. Pour identifier un mensonge, une contradiction, il faut de la mémoire, faculté qui, à mesure qu’elle s’externalise, fait de plus en plus défaut aux individus. Heureusement, quoiqu’en disent certains, nous ne sommes pas dans 1984 de Georges Orwell, il est donc encore possible de consulter les formidables ressources mémorielles que nous offre internet, si l’on parvient toutefois à s’y retrouver, et à faire confiance, sinon aux politiques du moins aux journalistes.
Voici quelques donc trois exemples réunis par des journalistes consciencieux :
- Emmanuel Macron se dit très concerné par le dernier rapport du GIEC. Pourtant, une fois la question expédiée, il affirme que le nucléaire est une solution d’avenir (inutile de préciser que c’est également ce que fait Marine Le Pen, qui ajoute par ailleurs qu’il faut « aller moins vite » en matière d’écologie !). Il semble ce faisant oublier que les précédents rapports du GIEC prévoient une augmentation drastique de la fréquence et de la force des événements météorologiques extrêmes (inondations, sécheresses, incendies, etc.) si nous ne parvenons pas à nous maintenir au-dessous du seuil déjà critique des 2° de réchauffement. Au vu de ces prévisions, et considérant que les efforts du seul Emmanuel Macron et de la France ne pourront suffire à atteindre cet objectif, il paraît présomptueux et même dangereux d’affirmer que le nucléaire est une solution d’avenir, alors qu’il est impossible de garantir que les centrales (vieillissantes) de notre pays résisteront au changement climatique[3].
- Pour rester sur l’écologie, le candidat a évoqué la modernisation de l’agriculture, le respect de l’environnement et la préservation de la biodiversité. Il s’agit à l’entendre de continuer à moderniser l’agriculture en poursuivant la transition écologique. Il a sans doute oublié la réintroduction des néonicotinoïdes et l’absence de réelle politique gouvernementale sur les « nids à pandémies[4]» que constituent les fermes-usines [5].
- Le président sortant propose de poursuivre un « investissement massif » dans le secteur de la santé. Il fait référence aux mesures adoptées suite au Ségur de la santé de 2020. Ce qu’il ne dit pas c’est que 17 600 lits d’hôpitaux ont été fermés depuis 2017, dont 5700 pendant la crise sanitaire. Son gouvernement a promis de consacrer 8,2 milliards d’euros à la revalorisation des métiers des établissements de santé et des EHPAD, et à la reconnaissance de « l’engagement des soignants au service de la santé des Français[6]» et d’investir « 19 milliards d’euros dans le système de la santé pour améliorer la prise en charge des patients et le quotidien des soignants[7] ». Dans les faits, il a au cours de son mandat réalisé 4 milliards d’euros d’économie sur l’Hôpital public.
On pourrait aussi évoquer la question du chômage, des impôts, de la recherche ou de l’école. D’autres le feront mieux que moi :
Huit mensonges d’Emmanuel Macron qui ne font pas une vérité | L'Humanité (humanite.fr)
Attention, ce billet ne constitue pas un vote pour Marine Le Pen, qui ne fait pas mieux et n’aurait pas mieux fait.
[1] Libre digression sur Le Politique et Le Sophiste de Platon.
[2] Sur les énoncés performatifs voir Quand dire, c’est faire, John. L. Austin, 1955
[3] https://reseauactionclimat.org/rapport-giec-climat-2021/
https://www.lemonde.fr/blog/huet/2021/08/09/le-rapport-du-giec-en-18-graphiques/
Macron et le nucléaire : visionnaire ou cynique opportuniste - Contrepoints
[4] Les fermes - usines des nids à virus (franceinter.fr)
[5] La menace fermes-usines - Greenpeace France
[6] Ségur de la santé : les conclusions - Ministère des Solidarités et de la Santé (solidarites-sante.gouv.fr)
[7] Ibid.