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Billet de blog 26 novembre 2021

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Bebeboa d’Orelsan ou le problème de la représentation de l’alcoolisme féminin

Au vu des différentes critiques de Bebeboa sur Twitter, l’un des titres du dernier album d’Orelsan Civilisation, on a cherché à comprendre la polémique et savoir comment celui-ci aborde la question de l’alcoolisme féminin.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans Bebeboa, Orelsan traite ainsi le sujet du boire excessif féminin, notamment celui de sa compagne. « Ma chérie préfère l’alcool que moi, elle s’éclate toute seule, déchirée tous les soirs » ; « Ma chérie boit trop, surtout depuis que je bois moins ». Les représentations du boire excessif dans la culture pop restent aujourd’hui, et dans la plupart des cas, perçues via le prisme d’un personnage masculin. Les femmes tenant plutôt l’image de gardienne de la morale sur les questions de l’alcool.

Désesthétiser l’alcoolisme féminin

De ce point de vue, le titre Bebeboa fait preuve d’un certain progressisme autour des représentations du boire féminin, faisant opposition aux stéréotypes de la culture pop. Par exemple, la représentation de la femme alcoolique dans les films ou séries s’avère souvent clichée. 

La femme y est habituellement présentée comme :

  • Sobre ayant vaincu son alcoolisme. 
  • Femme de mauvaise influence. 
  • Femme alcoolique s’enfermant dans sa solitude, sa honte et buvant de manière clandestine.
  • Femme qui, même alcoolique, garde ses stéréotypes d’ultra-féminité. 

Ces visions stéréotypées restent très loin de la réalité. Nombreuses chercheuses féministes se sont par exemple insurgées sur la représentation de l’alcoolisme de l'héroïne de la série à succès Le jeu de la dame (Netflix, 2020). Orelsan, lui, présente l’alcoolisme de sa compagne de manière bien plus réaliste. Il décrit son quotidien avec elle, quand il la retrouve endormie « dans la bouffe, une clope allumée dans la bouche ». Une image loin d’être normalisée quand il s’agit des femmes. Dans l’imaginaire collectif, ce sont les hommes qui sont représentés ainsi. Les femmes, elles, restent belles et soignées dans leur alcoolisme car la plupart de ces personnages sont créés par des hommes. 

L’autre point progressiste du titre Bebeboa est d’avoir ce point de vue masculin sur l’impact de l’alcoolisme dans le couple. Le vécu alcoolique du couple restant en général évoqué via la femme, soutenant son mari alcoolique. « Je stresse quand je rentre, je sais pas comment je vais la retrouver » ; « après 22h je peux plus rien en tirer ». Orelsan évoque ici les peurs et les problèmes de toute personne vivant au quotidien avec une personne alcoolique. On est alors en phase d’une inversion des genres dans le boire : l’homme représente la « sobriété », la femme « l’excès ».

Quand bimême progressiste sur la question du boire féminin, Bebeboa en garde tout de même une vision patriarcale.

Une vision toujours soumise au patriarcat

Historiquement, les écrits scientifiques sur l’alcoolisme féminin ont toujours été analysés via un regard patriarcal. Les recherches sont pour la plupart écrites par des hommes et même si le discours a évolué, il reste relativement cliché. L’alcoolisme féminin est toujours relié aux potentiels troubles psy ou aux potentiels problèmes liés à la fertilité. Ils se justifient, la plupart du temps, par le fait que les femmes n’ont pas d’enfants ou n’arrivent pas à en concevoir. C’est ce manque de « traits féminins » qui amènerait les femmes à être alcooliques. 

Et c’est là que le discours « progressiste » d’Orelsan doit être nuancé. Il tombe dans les mêmes écueils sexistes que les discours patriarcaux tenus historiquement. Il suppose directement l’origine de l’alcoolisme de sa compagne à une dépression. « Je sais pas si elle s’amuse ou si elle est déprimée ». Il n’essaye pas de comprendre l’origine du problème et préfère rester dans ses suppositions. Il regarde le problème de sa conjointe de loin, sans aucunement se remettre en question ni lui, ni son couple. Il dépossède, de plus, sa compagne de son propre vécu alcoolique. Il n’évoque que sa souffrance à lui sans aucunement évoquer sa souffrance à elle. « Elle va niquer la soirée, s’écouter parler, me reprocher des trucs ». Orelsan se place ici au premier plan sans prendre en compte les propos de sa compagne. En aucun cas il ne se remet en cause dans cette situation. 

En évoquant uniquement l’alcoolisme de sa compagne de son propre point de vue masculin, il lui enlève tout droit de réponse.

Ainsi, d’un point de vue général, Bebeboa évoque encore une fois l’alcoolisme féminin du point de vue de l’homme. Même si cette chanson permet d’aborder l’alcoolisme féminin d’une manière contemporaine et parfois progressiste, c’est une nouvelle fois à travers un regard masculin, représentatif des discours stéréotypés d’aujourd’hui. La femme n’a pas sa place dans un discours qui la concerne pourtant au premier plan. Même si on ne peut pas faire reposer sur les épaules d’Orelsan la responsabilité de l’ensemble des stéréotypes de l’alcoolisme féminin, c’est encore une fois une œuvre populaire et masculine qui continue de faire perpétuer un certain nombre de ces clichés, tout en dépossédant une femme de son récit.

Rédaction par François Perdriau et Clémence Rio.

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