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Billet de blog 13 septembre 2014

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Le think tank et le technocrate

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Interrogé par les médias qui souhaitaient connaître son avis sur le livre de Thomas Piketty, Le Capital au XXIème siècle, Michel Sapin a rétorqué d’une boutade qu’il « était trop lourd pour lui ». Trait d’humour appréciable, mais aussi révélateur de la réalité du pouvoir : les hommes politiques fussent-ils très « compétents » n’ont tout simplement pas le temps de réfléchir.


Aussi on ne s’étonnera pas si l’ambition principale du gouvernement actuel consiste à être un bon gestionnaire des finances publiques. Pour entrer dans l’histoire, François Hollande ne compte ni sur la guerre ni sur la popularité : il veut être celui qui remettra les comptes de la France à l’équilibre.


Cette ambition, on peut la saluer : elle est à la fois modeste et juste. Oui, c’est une première étape pour assurer un avenir à la jeunesse que de la soulager de dettes trop lourdes pour elle. Oui c’est un fait que la spirale de l’endettement n’a rien de positif. Mais de là à y limiter toute l’ambition d’un pays… Ce qui était juste devient une faute, car on ne prépare pas l’avenir en gardant les yeux fixés sur un budget. Et Arnaud Montebourg a alors beau jeu de dire que la stratégie adoptée pour le remettre à l’équilibre est contre-productive, tout en acquiesçant à l’objectif.


On doit saluer le chef d’entreprise qui cherche à augmenter ses marges, le professeur qui voudrait que l’on consacre toute notre énergie à l’éducation, le militaire qui voudrait des moyens illimités pour défendre le pays, et cætera, et cætera. Chacun est louable dans ses efforts, sincère dans son élan, et concourt à faire de la société ce qu’elle est. Mais là où le technocrate se contente d’arbitrer entre les uns et les autres, en étant à la recherche de l’équilibre idéal, le citoyen attend que l’ensemble fasse sens et dépasse cette simple opposition d’intérêts.


Mais les hommes politiques agissent, et ils attendent d’autres le soin de penser pour eux. Oh bien sûr, on saluera le centenaire de la mort de Jaurès, mais on ne regrettera pas ce temps de la lenteur où l’action politique était bien moins trépidante, où il ne tombait quinze chiffres et trois affaires par jour. Aujourd’hui, toute l’action politique réelle, celle qui se joue dans la durée, se tient à l’écart de la lumière. Les meilleures réformes des derniers gouvernements sont certainement celles qui se sont jouées loin des projecteurs, loin des conflits d’intérêts, bref, les seules qui ne se sont pas jouées dans l’urgence.


Car, afin de pouvoir céder à la pulsion de l’urgence et de l’action permanente (du sentiment de pouvoir que l’on a à chaque décision que l’on prend), les hommes politiques ont délégué à d’autres le lien entre réflexion et action. Aussi c’est sous la forme d’une note de synthèse parmi des dizaines d’autres que parvient au ministre n’importe quel ouvrage, note de synthèse trop ennuyeuse ou originale pour être prise en considération davantage que les « indicateurs » qui lui sont livrés chaque jour.


Aussi c’est aux think tanks désormais de livrer au politique cet outil parmi d’autres, cette méthode d’analyse faite de chiffres, de prêt-à-penser et d’éléments de langage racoleurs. Et c’est au citoyen de subir les conséquences de cette démission, qu’il soit par ailleurs soldat de la guerre armée ou de la guerre économique.


Et la question pour sortir des affres de ce monde chiffré et véloce n’est pas de supprimer ce monde mais d’apprendre à en faire partie. Comment peut-on faire renaître des alternatives ? Comment peut-on construire une intelligence collective non chiffrée ? Comment prendre en compte ce besoin de pouvoir et d’activisme permanent sans compromettre la capacité des citoyens à le ressentir à leur échelle, ou du moins à ne pas être dépossédé de leur capacité d’action propre ? Bref, ce qui reste à construire, c’est une politique durable.

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