Derrière la façade de l’uniformisation du système de retraite se cache la volonté de baisser les pensions pour ne pas avoir à ajuster les financements aux besoins. L’augmentation relative du nombre de personnes âgées peut être gérée de trois manières : 1)baisse des pensions ; 2)allongement de la vie active ; 3)augmentation des financements. Le débat s’est focalisé sur les deux premières alors que la troisième a été écartée au motif qu’elle freinerait l’activité économique. Il s’avère pourtant que les deux premières solutions regorgent d’effets inégalitaires alors que les analyses empiriques contestent fortement la prétendue dangerosité de la troisième.
Baisser les pensions, c’est accroître les inégalités
Baisser les pensions permet de baisser les prélèvements obligatoires sur les actifs, mais pas d’augmenter le niveau de vie car il faut épargner pour compenser la baisse de la future pension. La littérature économique a analysé les taux de rendement des portefeuilles individuels sur les marchés financiers et montre sans ambiguïté que plus l’individu est riche, plus il arrive à obtenir un rendement élevé, et ce même indépendamment du niveau de prise de risque.
Ces inégalités seraient moindres si la capitalisation n’était pas purement individuelle mais collective au sein de fonds de pensions professionnels. Toutefois, un tel système de fonds de pension professionnels génèrerait de nouvelles inégalités entre salariés selon le secteur économique et l’entreprise dont ils dépendent, ce qui cadre mal avec la promesse initiale d’uniformisation. De plus, cela compliquerait le suivi des pensions des salariés changeant de secteurs et d’entreprises : le problème des multi-pensionnés était mobilisé afin de justifier la réforme, or on risque de créer des multi-fonds-de-pensionnés, avec moins de soutien administratif pour traiter leurs dossiers et s’y retrouver.
Retarder l’âge de la retraite, c’est accroître les inégalités
Le nouveau système est supposé permettre aux potentiels retraités de « choisir » individuellement entre une durée d’emploi prolongée et une pension diminuée. Évidemment, ce choix est plus libre pour les personnes qui peuvent effectivement rallonger leur carrière (parce qu’ils ont des métiers moins contraignants physiquement et une employabilité plus facile même à des âges avancés) que pour celles qui ne le peuvent pas et n’auront d’autre choix que de subir des baisses de pension.
Par ailleurs, un allongement de carrière identique pour tous est inégalitaire car l’espérance de vie (et encore plus l’espérance de vie en bonne santé) est hétérogène. Commencer la retraite à 63 au lieu de 62 ans, c’est retirer un an sur 23 de retraite à un diplômé du supérieur faisant parti des 25 % de français les plus riches. Pour une personne sans diplôme parmi les 25 % les moins bien lotis, c’est retirer une année sur 12 à la retraite (et peut-être tout son temps sans incapacité).
De plus, le retard de passage à la retraite a des effets néfastes sur la santé des moins diplômés, comme viennent de le montrer des chercheusesen analysant l’effet différé de la réforme de 1993.
Hausser les cotisations ne réduit pas l’emploi ni la compétitivité
La troisième solution, l’augmentation des cotisations sociales, est écartée à cause de son effet supposé de destruction d’emplois. Pourtant, une expérience riche d’enseignements nous a été donnée par l’échec du CICE : appelé à arbitrer un désaccord minime entre deux évaluations (l’une n’observant pas de création d’emploi et l’autre qu’un très faible nombre), l’Inseea conclu que le très faible niveau d’emploi apparaissant dans certaines évaluations n’était qu’un artefact statistique.
Certains arguent que le CICE a échoué parce qu’il concernait les hauts salaires, or il concernait aussi les bas salaires. Même en suivant le très prudent CAEqui a considéré l’artefact statistique comme une réelle création d’emploi, on arrive au mieux à avancer que la part du CICE subventionnant les bas salaires (en dessous de 1,6 SMIC) aurait réussi à créer un emploi tous les 160 000 € dépensés annuellement. Par ailleurs, analysant une réduction de cotisations ciblée sur les bas salaires (le pacte de responsabilité), une étude de l’IPPn’arrive pas non plus à mettre en évidence de création d’emploi. Ainsi, déclarer qu’il serait impossible de continuer à financer les pensions car cela nuirait à l’emploi n’est pas crédible au regard des travaux empiriques sur la question.
Qui sont les gagnants de ce cloisonnement néfaste du débat ?
Rappelons enfin les ordres de grandeurs : dans le pire scénario de croissance, le COR indique que l’équilibre financier en 2025 nécessite une augmentation des cotisations sur les revenus d’activité de 1,5 point. Les cadeaux que l’on vient d’évoquer s’élèvent à 6 points de cotisations pour le CICE et 1,8 point pour le pacte de responsabilité.
Le refus de discuter de l’augmentation des cotisations bénéficie aux salariés les plus qualifiés qui ne verront pas leurs salaires grevés par des cotisations supplémentaires, et aux employeurs qui pourront payer moins cher le travail peu qualifié (sans embaucher davantage). Le prix à payer sera soit un allongement de la période de travail, ce que les plus favorisés peuvent faire plus facilement, soit une compensation de la baisse de pension par un recours à la capitalisation, qui est là aussi plus accessible et plus rentable pour les plus fortunés.