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Après une journée entière de comptage des voix pour l'élection du gouverneur de l'Etat de Mexico, le cousin du président Enrique Peña Nieto, Alfredo del Mazo, sort vainqueur du scrutin avec deux points d'avance. La coalition citoyenne #NiUnFraudeMas évoque "la fraude électorale la plus massive de l'histoire du Mexique".
Achat de voix : les limites de la banalisation
“Tu es le bienvenu si tu veux te déplacer, mais le processus électoral ne sort pas de l’ordinaire”. Cette situation jugée “ordinaire” par ce confrère dépité de l’Etat de Mexico, une ceinture urbaine de plus de dix-sept millions d’habitants autour de la capitale, est cependant activement commentée. Les voix achetées, du point de vue de nombre de rédactions et d'internautes, semblent ne plus faire partie des règles du jeu acceptées et analysées avec neutralité. Surtout que beaucoup d'entre eux sont persuadés que le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), profondément impopulaire, aurait dû perdre dans une compétition démocratique transparente.
Bien qu’il s’agisse de l’élection du gouverneur de l’Etat de Mexico, les appels et sms calomniant le parti de gauche Morena (en première place dans les sondages devant le PRI) atteignent nombre d’habitants de la capitale. De Mexico, on voit également les slogans du candidat du PRI, Alfredo del Mazo, sur tous les bus qui arrivent et repartent, tous les jours, de Mexico vers l’Etat de Mexico.
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Le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), depuis la période post-révolutionnaire, gagne les élections en cooptant des secteurs professionnels. Lorsque l’agriculture et l’industrie étaient orientées vers les besoins du pays et employaient beaucoup plus de personnes - avant l'intégration du pays dans le libre-échange avec l'Amérique du Nord en 1994 - le PRI organisait et cultivait son électorat en s’implantant dans les usines, les campagnes et les entreprises publiques, recourant à des organisations et syndicats satellites. L’une de ces organisations, Antorcha Campesina, fédérait la base électorale agraire du parti qui domina les institutions du pays pendant plus de quatre-vingts ans.
Le règne ininterrompu du parti quasi-unique PRI, dans la “plus vieille démocratie d’Amérique latine”, a pris fin temporairement en 2000. Les bouleversements sociaux profonds causés par le libre-échange, et en particulier l’hémorragie des campagnes, avait déstabilisé le “système PRI”.
Le parti sortant sur la défensive
Le nouveau PRI ouvertement néolibéral du président Enrique Peña Nieto est aujourd'hui de nouveau sur la défensive, retranché dans “seulement” quinze Etats depuis les élections régionales de mai-juin 2016. A la suite de ce mauvais scrutin qui lui a fait perdre trois Etats, le PRI a exclu l’ex-gouverneur de l’Etat du Veracruz Javier Duarte, qui a battu des records de détournements de fonds (au moins un milliard d’euros) et d’assassinats de journalistes sous son administration (19 journalistes morts en six ans).
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L’Etat de Mexico, qui est administré par le PRI depuis quatre-vingt sept ans, est historiquement prémonitoire du résultat des élections présidentielles. Il s'agit d'un scrutin crucial que tous les médias mexicains nationaux ont couvert de près. Le New York Times, Le Monde, El País et Telesur étaient également présents.
Le parti du candidat Alfredo del Mazo s’est assuré, par différentes méthodes de chantage administratif et financier, le soutien des secteurs du transport de passagers et de la vente de rue, principaux viviers d’emploi dans une région qui a absorbé une grande partie de l’exode rural massif et chaotique des années 1980-1990. Les méthodes fortes employées contre les militants de MORENA (menaces, enlèvements, torture, fausses accusations) ont empêché ces derniers de faire campagne sereinement dans des zones urbaines densément peuplées telles que Chimalhuacán, Naucalpán et Ixtapaluca. Le parti d'Andrés Manuel Lopez Obrador, dans une situation d'adversité, a néanmoins réussi une percée qui le place à sept points devant M. Del Mazo dans les sondages.
Une élection "trop grosse" pour être perdue par le régime?
Les militants de MORENA ont été aidés par une forte mobilisation de journalistes et intellectuels originaires de l'Etat de Mexico dont la vidéo “Pas une voix de plus pour le PRI” a recueilli plus de cent soixante-dix mille “J’aime” sur Facebook. L’archevêché du Mexique, sans prendre position explicitement pour un candidat, a terni durablement l’image du PRI auprès des femmes en reprochant ouvertement à l’administration du gouverneur sortant Eruviel Avila Villegas “l’impunité généralisée” qui entoure les féminicides, très nombreux dans l’entité. Plus de mille cinq cents femmes sont actuellement portées disparues dans l’Etat de Mexico, 263 y ont été assassinées pendant la seule année 2016.
Bien que les sondages soient en faveur de la candidate de MORENA, Delfina Gómez, la plupart des médias locaux et nationaux estiment que l’élection du gouverneur de l’Etat du Mexico est “trop grosse pour être perdue” par le PRI. L’organisation citoyenne Ni un fraude más a observé en moyenne quatre “irrégularités électorales” par jour dans l’entité depuis le 6 avril, irrégularités consistant principalement dans le détournement des programmes sociaux régionaux afin de remplir les évènements de campagne de la coalition PRI/Verts/Nueva Alianza/Encuentro social.
Elle signale que les femmes bénéficiaires d’un programme social en faveur des mères de famille élevant seules leurs enfants, le programme fédéral "Prospera", ont été obligées sous forme de chantage aux prestations à assister à un meeting électoral d’Alfredo Del Mazo dans la ville d’Atlacomulco. Le juriste et ex-conseiller électoral Jaime Cárdenas signale que l’administration régionale donne neuf cents pesos (vingt euros) à tout inscrit pour obtenir une copie de sa carte d’électeur, de toute évidence à des fins de fraude.
“Le gouvernement mexicain, au lieu de critiquer ladite 'rupture du processus démocratique' au Venezuela, ferait mieux de s’occuper du piteux état de notre propre démocratie”, signale au site d’information Transeunte le militant local de MORENA, Gustavo Hernández Flores. Aujourd’hui accusé d’assaut à mains armées, il dit avoir été enlevé, menacé de mort et passé à tabac pendant deux heures par les plaignants eux-mêmes, membres du PRI et d'Antorcha Campesina.