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Le 15 mai dernier, le site d'information guatémaltèque Prensa Comunitaria, en collaboration avec le portail mexicain Desinformémonos et en coordination avec soixante autres médias et collectifs du monde entier, a lancé l'initiative #NosDuelen56 ("Nous souffrons pour les 56").
En soutien au combat pour la dignité et la justice des familles des 56 victimes de l'incendie du foyer Virgen de la Asuncion, l'appel a débouché sur un rassemblement marquant le sixième mois écoulé depuis le crime d'Etat commis le 8 mars 2017. Les portraits illustrés des 56 élaborés au cours des derniers mois ont été exposés publiquement devant le Palais national guatémaltèque. Au pied d'un gigantesque drapeau national, 56 croix ont été disposées. Poursuivre le deuil pour lutter contre l'oubli.
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La justice guatémaltèque, pour lꞌinstant, poursuit trois personnes : lꞌex-directeur du foyer et deux hauts fonctionnaires du secrétariat aux Affaires sociales (SAS). Cinq autres fonctionnaires ont été mis en examen dans le cadre de la même procédure, ouverte en réponse à une plainte pour homicide, abus dꞌautorité et maltraitance sur des personnes mineures.
L'initiave #NosDuelen56 rend un visage et un nom à ces victimes de la violence féminicide d'Etat. Elle rassemble les contributions de 58 artistes mexicains, argentins, français, italiens, espagnols et guatémaltèques.
#NosDuelen56 est leur contribution pour ces filles qui n'ont pas eu le temps d'être femmes, contre l'impunité et l'oubli.
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Qu'est-il arrivé à ces 56 jeunes filles?
Le Guatemala a récemment vécu l'un des massacres les plus atroces dans l'histoire du pays et des Amériques, dans la mesure où ces mineures étaient placées sous la responsabilité et la protection de l'Etat.
Au moins soixante jeunes filles ont essayé de fuir du foyer Virgen de la Asuncion le 7 mars 2017. Le lieu était signalé depuis 2013 comme un concentré de violence physique et verbale, d'avortements forcés, de médication forcée, de nourriture répugnante et de tortures en tous genres, sans oublier les abus et l'exploitation sexuelle. Les alertes de plusieurs organisations nationales et internationales de défense des droits humains, d'une juge, des médias et des adolescentes elles-mêmes ne furent jamais écoutées.
Aussitôt que les jeunes filles crurent qu'elles l'avaient échappé belle, la police les ramena à l'enfer. Le président guatémaltèque Jimmy Morales a reconnu avoir donné personnellement l'ordre d'envoyer 250 policiers à leur recherche, y compris des forces anti-émeutes qui furent mobilisées toute la nuit pour garder le lieu "sous contrôle".
Quelques heures avant l'incendie, à l'aube de la journée du 8 mars 2017, la direction du foyer, le secrétariat aux Affaires sociales de la présidence et le Parquet pour les droits humains prirent conjointement la décision de confier la garde et la responsabilité des mineures à la Police nationale civile (PNC).
Qui a déclenché l'incendie?
Les 56 jeunes filles furent enfermées à clé dans une "salle de classe" de quatorze mètres carrés et privées de toilettes. A 8h45 du matin, après que des employés leur apportèrent un petit déjeuner, un incendie s'est déclenché. La version officielle relayée par les autorités et certains médias, qui a été mise en doute, prétend que les adolescentes ont elles-mêmes mis le feu à un matelas pour attirer l'attention.
Les jeunes filles furent exposées à une température de plus de 300 degrés pendant plus de onze minutes, elles ont crié au secours mais personne n'a ouvert la porte.
Le personnel d'encadrement, les gardes et la centaine de policiers présents (accompagnés de militaires selon certaines versions) n'ont rien fait d'autre qu'intimider et menacer les occupants d'autres secteurs du foyer venus les secourir. Les pompiers ont été induits en erreur puis se sont heurtés à l'obstruction des forces de l'ordre. Les proches rassemblés à l'extérieur ont imploré les forces anti-émeutes, qui ont persisté à ne laisser passer personne y compris les secours. Personne n'a rien pu faire à cause du dispositif policier.
A six mois des faits, la justice locale a engagé des poursuites contre l'ex-directeur du secrétariat aux Affaires sociales de la Présidence Carlos Rodas, la sous-secrétaire de la même administration Anahy Keller et l'ex-directeur du foyer Santos Torres.
Peu d'informations circulent sur les quinze survivantes. Certaines ont été soignées aux Etats-Unis, trois d'entre elles en sont revenues.
Des centaines d'autres enfants, lourdement affectés psychologiquement, souffrent en silence. Les psychologues dꞌun foyer privé appelé «Refuge de lꞌEnfance» témoignent : sur trente-neuf survivantes hébergées par lꞌorganisation, seize ont commis des tentatives de suicide ou se sont automutilées. A dix mois des faits, la plupart des familles nꞌa pas été indemnisée ou lꞌa été de manière insuffisante au vu du coût des soins pour les victimes. Le Parquet n'assure que deux suivis psychologiques personnalisés, dans le cadre d'un programme de prise en charge des mineurs affectés que l'UNICEF a qualifié de "lent et incomplet".
Des questions en suspens...
Quelles "punitions" ont pu être infligées aux occupantes de ce foyer sous tutelle présidentielle pour que celles-ci se rebellent et s'échappent au cours d'une fugue massive?
Dans quelle mesure Patricia de Morales, femme du président et titulaire du secrétariat au Bien-être social et du secrétariat aux Affaires sociales de la présidence du Guatemala, exerçait un pouvoir direct sur ce centre?
Les magistrats du Parquet, en se focalisant sur les faits constitutifs dꞌhomicide, dꞌabus dꞌautorité ou de maltraitance de mineurs, passent à côté des problèmes structurels du foyer, des raisons profondes de la révolte du 7 mars et des modalités de sa répression.
La société guatémaltèque ne pardonne pas mais les révoltes, faute de bases idéologiques et de débouchés politiques, succombent rapidement à la routine.
Je partage, avec l'accord de l'auteure Lucia Ixchiu Hernandez, le portrait de Grindy Jazmin Carias Lopez, morte à seize ans. Pour voir les 56 illustrations, je vous renvoie à la page suivante. Nous souffrons pour les 56.
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