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Billet de blog 21 janvier 2016

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Agressions de Cologne : la presse russe pousse le vice de la guerre de l’information

L'idée de ce billet m'est venue lorsque hier, une connaissance russe qui s’apprête à voyager en Europe me demandé si elle devait craindre les migrants… Non content de m’en tenir à des constats russophobes faciles sur la mentalité russe, cet échange a été pour moi la confirmation que, dans la stratégie médiatique du pouvoir en place, tous les moyens sont bons pour rabaisser l'adversaire européen.

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Illustration 1
Affiche soviétique "bavarder, c'est aider l'ennemi"

Lors de sa dernière visite en Serbie (11 et 12 janvier), le vice Premier-ministre russe Dmitri Rogozine, feignant la spontanéité maladroite avec les journalistes, avait annoncé « […] que l’harmonisation avec l’Union européenne peut en arriver au point où, ici à Belgrade, vous aurez un Cologne numéro 2. Ne vous pressez donc pas trop avec cette harmonisation, sinon les immigrés vont se sentir maîtres chez vous et vos femmes auront peur de sortir dans la rue ». Comme l’a signalé Ioulia Petrovskaïa, correspondante de Radio Svoboda, les autorités serbes n’ont pas été convaincues. Pour l’anecdote, M. Rogozine a aussi rencontré le leader du Parti radical accusé de crimes de guerre, Vojislav Šešelj, à qui il a offert quelques boîtes à ouvrages ornées d’illustrations de la Crimée avant de repartir avec la promesse de se voir offrir en retour un objet symbolisant la réintégration du Kossovo à la Serbie. Outre un certain franc-parler ouvertement opportuniste qui séduit en pourfendant le politiquement correct, les propos de Rogozine représentent un mythe du grand remplacement en Europe exploité avec un certain succès par les médias russes. 

La Komsomolskaïa Pravda, le quotidien populaire le plus lu du pays, impose sa lecture idéologique des évènements, dirigée contre « l’obédience multiculturaliste des autorités allemandes » qui « n’ont pas pu passer les faits sous silence comme elles ont coutume de le faire ». Le tabloïd russe va jusqu’à suggérer que la police locale a couvert les agresseurs : se référant à des « rapports de police […] remis à la presse », il affirme que « les policiers n’ont commencé à agir qu’au moment où les migrants se sont mis à jeter des pétards sur les passants ». Le ton est le même dans la presse d’affaires réputée sérieuse. Expert, la première revue économique du pays, évoque un discrédit de la politique d’accueil auprès de l’opinion en reprenant un sondage publié par Bild qui souligne que 63% des Allemands considèrent désormais que leur pays reçoit trop de réfugiés. L’auteur de l’article décrit une tendance qui, selon lui, n’est pas nouvelle : d’après « les dernières données statistiques disponibles » ( ? ), un tiers des agressions sexuelles commises en 2013 en Allemagne l’auraient été par des étrangers.

La Rossiïskaïa Gazeta, une des publications les plus influentes, qui sert à la fois de quotidien de référence et de journal officiel, ne fait aucun cas de la présomption d’innocence et d’autres préoccupations d’ordre déontologique lorsqu’elle écrit qu’« au court d’une nuit de Saint-Silvestre devenue tristement célèbre, des centaines de ressortissants d’Etats d’Afrique du nord et du Moyen-Orient ont agressé impunément des dizaines de femmes dans le centre de Cologne ». La couleur de peau des agresseurs est-elle suffisante pour déterminer leur nationalité ? Avaient-ils tous récemment immigré depuis l’Afrique du Nord ou le Moyen-Orient ? Faut-il déduire de l’emploi de l’adverbe « impunément » que la justice allemande va classer l’affaire sans condamner personne ?

L’angle de la complicité des médias et des autorités locales avec des migrants jugés au-dessus de la loi est flagrant dès la deuxième ligne du chapô de l’article qui mentionne des « crimes répugnants », lesquels, avant cela, avaient pu être commis « dans différentes villes allemandes », « sans que les médias ni les forces de police ne disent mot ». Dans le corps de l’article, le correspondant de Rossiïskaïa Gazeta,Timofeï Borissov, s'appuie sur la population russophone de la région de Hanovre pour décrire le sentiment général en Allemagne après les agressions. A Hanovre, d’après le correspondant, les Rousaki (immigrés russes en Allemagne) disposent de leurs propres sources d’information, principalement le téléphone arabe (en russe traduit litéralement : la « radio du sarafan », le sarafan désignant une robe rouge et or traditionnelle des paysannes russes et ukrainiennes). La « radio du sarafan », si l’on en croit le reportage, est considérée par les Rousaki comme plus fiable que des médias allemands auxquels ils ne font plus confiance. Borissov, en faisant connaissance avec la diaspora russe locale, se rappelle les fameuses conversations de cuisine en Union soviétique, où les cuisines des particuliers, avant la Perestroïka, étaient réputées comme étant le seul endroit sûr pour parler franchement de politique en s’affranchissant de la censure et de la désinformation. L’auteur de l’article, de toute évidence, cherche à suggérer qu’un climat similaire règne en Allemagne, où la presse « cache tout ce qu’il se passe avec les réfugiés ».

Ces journalistes d’Expert, Komsomolskaïa Pravda et Rossiïskaïa Gazeta sont-ils conscients du fait qu’ils sont lus par des millions de citoyens russes ? Si oui, le font-ils exprès ? Le sujet des agressions de Cologne, en Russie, s'est également amplement déployé à la télévision, pardonnez-moi si le courage m'a manqué pour l’allumer.

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