Journaliste, correspondant au Mexique et en Amérique centrale
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La difficile mise en place de la gendarmerie mexicaine
C’est l’une des petites dernières des 46 gendarmeries existant actuellement dans le monde. Né il y a plus de trois ans, un nouveau corps de sécurité publique appelé « Gendarmeria nacional » voyait le jour au Mexique. Comptant aujourd’hui quelque 5 000 gendarmes, répartis en 14 groupements, elle peine pourtant à exister face à l’armée et à la police mexicaines.
[Une collaboration avec L'Essor de la Gendarmerie nationale ]
La Gendarmerie nationale du Mexique a été créée par un décret présidentiel du 22 août 2014 et constitue la 7e division de la police fédérale. Le gouvernement français a contribué, à travers un programme de formation annoncé à la formation et à l’entraînement de ses cadres. Les gendarmes français ont formé plus de deux cents officiers de la nouvelle gendarmerie mexicaine dans des domaines pointus : sécurité portuaire et aéroportuaire, collecte et traitement d’information opérationnelle, binômes cynophyles, communication de proximité, interventions en milieu fermé, gestion de troubles à l’ordre public et maniement des précurseurs chimiques.
Cette formation s’est déroulée dans une base de la police fédérale mexicaine située à Teotihuacan, à l’ombre de deux pyramides monumentales érigées par la civilisation aztèque.
Le peloton de gendarmerie de haute montagne d’Oloron (Pyrénées-Atlantiques) et le centre de coopération transfrontalier de Canfranc en Espagne, ont à leur tour accueilli des stagiaires mexicains. D’autres officiers ont fait des stages chez les carabiniers italiens, les gardes civils espagnols et dans la Police nationale en Colombie.
Un mois avant le troisième anniversaire de la création de la gendarmerie mexicaine, le chef du projet Gendarmerie auprès du ministère de l’Intérieur. mexicain, le lieutenant-colonel Raymond Laffont, a été décoré de l’ordre du mérite international mexicain. Le directeur général de la police fédérale mexicaine Manelich Castilla a remercié l’officier français pour le travail de formation accompli : « Vous êtes maintenant citoyen mexicain et la police fédérale est votre maison ».
Interrogé par L’Essor, le lieutenant-colonel Laffont a déclaré que les forces mexicaines ont connu « de réels succès sur le terrain » auxquels « la part prise par la Gendarmerie française dans la formation des personnels n’est pas étrangère ». Il ajoute que « le modèle de la Gendarmería nacional rompt avec ce qui existe au Mexique, c’est à dire une police de réaction parfois brutale, en privilégiant la prévention et la proximité ».
La Gendarmería nacional n’est pourtant pas la force militaire sous autorité civile, comme sa grande sœur française, initialement prévue par le président mexicain Enrique Pena Nieto. Faute d’avoir obtenu son autonomie, elle est devenue une division de la police fédérale.
Le concept initial du gouvernement mexicain – une force autonome de dix à quarante mille personnels de statut militaire et de formation policière – avait initialement suscité l’enthousiasme d’experts aujourd’hui déçus. « Les militaires n’en ont pas voulu », affirme un spécialiste mexicain de sécurité, Alejandro Hope. « Début 2013, le projet initial a donc été bloqué par les forces armées. L’armée de Terre et la Marine mexicaines ne pouvaient accepter de fournir des effectifs destinés à être commandés par des civils ».
« A partir de ce moment - poursuit Alejandro Hope - le gouvernement a cherché à mettre sur pied à tout prix quelque chose qui puisse porter le nom de Gendarmerie et faire repartir la coopération militaro-policière entre la France et le Mexique ». C’est alors l’époque de l’affaire Florence Cassez(1) qui avait envenimé les relations bilatérales.
Une autre experte basée en Espagne, Sonia Alda Mejías, explique que les gendarmes mexicains actuels ont « une discipline militaire sans statut militaire », ce qui nuit à leur autonomie et capacité opérationnelles.
Rien à voir avec la Gendarmerie française et la Garde Civile espagnole « qui disposent des effectifs et de l’autonomie nécessaires à une couverture effective du territoire nationale ».
Face à l’augmentation de la violence en Amérique latine, un rapport de la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) de 2009 avait incité les pays de la région à recourir « le moins possible » aux forces armées pour des tâches de sécurité publique et à trouver des alternatives à la militarisation de la police.
Dans ce contexte, la diplomatie française a donc encouragé l’utilisation de forces « intermédiaires », sur le modèle de la Gendarmerie, pour faire face aux menaces posées par les cartels de narcotrafiquants, les gangs de rue et d’autres phénomènes de criminalité organisée.
Selon l’ancienne ambassadrice de France au Mexique Elizabeth Beton-Delègue (2012-2014), « le gendarme est un personnage de la vie quotidienne en France, à la fois proche des habitants mais aussi respecté car il représente l’autorité de l’Etat, un Etat de droit placé sous le signe du respect des droits de l’homme ».
En reprenant, cent cinquante ans après l’expérience de la Gendarmerie impériale du Mexique, l’idée d’une force armée chargée de missions de police et sous commandement civil, le président Enrique Peña Nieto tenait à se distinguer de son prédécesseur, Felipe Calderon. Ce dernier, à son élection en 2006, a mobilisé massivement l’armée contre les cartels de la drogue. Cette situation de prépondérance des forces armées perdure aujourdꞌhui, contribuant à une situation humanitaire désastreuse que le gouvernement mexicain refuse toujours de considérer comme un conflit armé.
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