CLEMENT FROMENTIN

Psychiatre, psychanalyste, praticien hospitalier chez ASM 13

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Billet de blog 19 décembre 2025

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Une psychiatrie sans sujet

Après le vote sénatorial et l’adoption de la PPL n°385, il faut prendre la mesure de ce qui s’est joué.

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Après le vote sénatorial et l’adoption de la PPL n°385, il faut prendre la mesure de ce qui s’est joué.

Car ce texte, amendé, réécrit, purgé de ses références les plus explicites, n’en a pas moins conservé son orientation essentielle : faire porter la valeur de l’engagement de la psychiatrie sur ce qui se laisse nommer et garantir par la « science ». La mobilisation des professionnels de terrain a permis de faire disparaître les termes de « Fondamental » et de « Centres experts » de la PPL. Mais dans l’hémicycle, les discours thuriféraires d’Alain Million et Chantal Dessaines étaient sans équivoques.

On remplace « centres experts » par « 3e niveau de recours » et voilà les universitaires ralliés et une partie de la contestation contenue. On brocarde la « querelle des anciens et des modernes », on s’insurge de la « résistance au progrès » des « psychiatres réactionnaires ». Car il faut savoir compter sur les vraies innovations : savez-vous qu’après un passage en Centre expert, on diminue le nombre d’hospitalisations par deux ? Que grâce aux Centres experts, nous affirme M. Million, « l’autisme est (enfin) considéré comme une maladie psychiatrique ! » Que via l’application Food4Mood (développée par Fondamental) et la mise en place de menus méditerranéens savamment calibrés, votre humeur pourra enfin se laisser optimiser ? Derrière ces déclarations risibles, soi-disant fondée sur l’Evidence Base Medecine, mais qui repose uniquement sur de la communication, des enjeux pourtant très graves : des millions de dépenses publiques, le recueil de données biologiques à la valeur marchande considérable, mais aussi, plus profondément, une conception du psychisme fondée sur le rejet de la subjectivité.

On connaît depuis longtemps l’écart persistant qui se manifeste entre la rhétorique triomphante des neurosciences, qui a su se gagner les faveurs des médias et de certains politiques, alors même que les résultats concrets dans la pratique restent au mieux très modestes. En se concentrant sur ce qui se laisse objectiver, quantifier et standardiser, la psychiatrie contemporaine s’efforce de soustraire à son champ la dimension de la subjectivé : à la fois pour le patient, mais aussi pour le clinicien. Accueillir l’autre comme autre, c’est consentir à ce que le symptôme ne soit pas seulement un phénomène à expliquer, mais une adresse à soutenir. La relation exige du temps, une disponibilité sans rendement garanti, un concernement, comme disait Lacan. Cette exigence, trop peu compatible avec les impératifs d’objectivité, de maîtrise et de prévisibilité, suscite son effacement.

Le cerveau offre l’avantage d’un objet silencieux, disponible à une investigation sans implication. Cette conception permet d’envisager penser le trouble mental sans la rencontre, et de neutraliser ce qu’elle engage d’incertitude. Mais en faisant le choix d’une clinique fondée sur les examens complémentaires, les biomarqueurs et l’IA, c’est tout autant la subjectivité du clinicien, ses choix éthiques et politiques qu’il s’agit de mettre hors champ.

Le réductionnisme neuroscientifique contemporain prolonge une conception de l’objectivité héritée de la modernité scientifique, telle que l’a analysée George Levine dans Dying to know (2002), où le savoir se construit au prix de l’effacement du sujet connaissant. Que ce savoir soit situé est insupportable aux partisans de la rénovation de la Santé mentale. Il leur faut une connaissance impersonnelle, il leur faut aboutir à une psychiatrie désincarnée et faire taire l’expression des professionnels du terrain. Il leur faut sacrifier l’intelligibilité clinique et la responsabilité éthique sur une hiérarchisation du parcours de soin, sur l’autel d’une objectivation sans reste. En ignorant une contestation professionnelle d’une ampleur inédite depuis un demi-siècle, le législateur ne se contente pas de fragiliser la psychiatrie, il a choisi de censurer la parole : autant celle des patients que celle des cliniciens.

Ce texte a initialement été publié sur Ecole de la Cause Freudienne Mess@ger

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