Ainsi, il y aurait quelque machination, peut-être même pilotée, dans la Primaire Populaire. Les « principaux candidats » ont donc décidé de s’en éloigner, de refuser d’y être impliqués même à leur corps défendant. Les billets de blog et les commentaires n’en finissent plus de tirer sur l’ambulance, peut-être pourtant la dernière.
Et alors que faire du désespoir des électeurs ? Est-ce qu’il importe vraiment de savoir qui aurait manipulé ce dispositif ? L’essentiel est-il même ce qu’il en sortirait ? Là n’est pas l’essentiel, qui semble avoir échappé. Le plus important ne serait-il pas de « dégager » les grands communicants philanthropes qui nous gouvernent, même si l’on ne peut guère se faire d’illusions sur ceux qui les remplaceraient, la dernière expérience ayant largement suffi pour nous guérir ?
Ayant voté à gauche depuis plus de quarante ans, je m’étais fait à l’idée d’apporter une voix à l’un des candidats, sans illusions justement, ni sur le personnage ni sur ses chances de mettre en œuvre un programme de réels changements, mais en quelque sorte « par défaut », par résignation pour un « vote utile » et, en cohérence avec ce choix, de le soutenir à la primaire populaire (sans qu’il y soit candidat), parce qu’à l’évidence, sans un soutien élargi, aucun candidat de gauche ne passera le cap du premier tour et il ne restera à choisir qu’entre la peste et le choléra.
Et voici que cette ultime lueur d’espoir est balayée par ceux-là même qui seraient censés en redonner. Au nom de quoi, de quelle stratégie ou de quels calculs ? De la nécessaire cohérence d’un programme ? Mais qui peut encore croire que le programme d’un candidat sera un jour appliqué ? Qui peut encore croire qu’une élection se gagne sans alliances et surtout qu’une fois élu un candidat ne sera pas soumis aux compromissions de la « réalpolitique » ?
Un simple regard rétrospectif sur les mouvements sociaux, les grèves et les manifestations depuis au moins vingt ans suffit pour comprendre que ces actions n’ont plus d’impact réel sur les orientations politiques profondes. Les « responsables » politiques sont constamment exonérés de toute responsabilité, en vertu d’une logique de « responsabilisation » des citoyens et concomitamment les piliers institutionnels de l’Etat (santé, éducation, justice) sont méthodiquement détruits au profit du nouvel ordre néolibéral et au mépris des enjeux environnementaux, climatiques et humains, les personnes racisées en étant les premières et les plus nombreuses victimes, où qu’elles se trouvent à l’échelle mondiale.
Dans ce contexte, les discours des candidats de gauche (vraie ou prétendue telle) deviennent inaudibles s’ils ne s’attachent pas à un fondement consensuel sur ce point (un socle commun minimal si l’on veut), leur crédibilité ne pouvant reposer que sur une détermination commune à mettre fin à cette entreprise de destruction massive, le reste (les programmes, quelles que soient leurs nuances ou même leurs réelles différences) ayant depuis longtemps perdu la possibilité de convaincre.
Depuis quelques temps déjà, j’entends autour de moi dire qu’au fond « les candidats de gauche ne veulent surtout pas gagner l’élection » et c’est effectivement l’impression qu’ils donnent, a contrario de leurs discours et de leurs allégations. Certes, on peut se dire que la situation est tellement dégradée qu’il vaut peut-être mieux refuser l’héritage. Mais alors pourquoi continuer à faire semblant ? Faut-il vraiment qu’eux aussi nous « prennent pour des cons » ?
De nombreux articles paraissent aujourd’hui qui montrent l’inanité des sondages dont on nous abreuve pourtant en permanence ; l’éparpillement des opinions n’a peut-être jamais été aussi grand, et les éléments d’incompréhension autant diffusés. Lorsqu’aucun argument raisonnable ne convainc plus, la seule réponse aux résistances est la matraque. Annoncer l’augmentation des effectifs de police ressemble ainsi davantage à un aveu d’impuissance qu’à une intention de consolidation de l’Etat de droit.
Mais faut-il en être étonné alors que depuis des années tout est fait pour décérébrer la population : pour ne citer que quelques exemples, les émissions de « téléréalité », les jeux d’influence sur les réseaux dits sociaux, la désinformation permanente par des responsables institutionnels prétendant lutter contre les « fake news » (ou le supposé « wokisme ») et, au sein même de l’institution scolaire qui devrait former à l’esprit critique, le sabordage de ce qui restait d’enseignement général (l’exemple le plus criant et le plus scandaleux, qui a pourtant donné lieu à peu de réactions, me semble la diminution récente des heures d’enseignement général en formation professionnelle).
L’obsession d’une logique qui voudrait que l’éducation et la formation (notamment à l’université) ne servent qu’à préparer une insertion professionnelle a désormais complètement occulté ce qui ne reste présent que dans des discours creux, alibis étendards sans cesse convoqués par ceux-là même qui s’évertuent à faire disparaître toute possibilité de motivation pour un accès aux savoirs et à la réflexion critique par l’ensemble de la population, à commencer par la jeunesse en formation.
En dépit de ces constats, pourtant sans doute largement partagés à gauche, qui nécessiteraient pour le moins un sursaut de ceux qui pensent encore pouvoir « faire quelque chose », il semble que l’on se perde en débats stériles et les dirigeants politiques de gauche donnent l’impression qu’ils ont abandonné, non seulement toute volonté d’accéder au pouvoir, mais surtout – et c’est bien plus grave – qu’ils ont abandonné leur électorat à son désespoir.
Clément Magron, retraité de l'enseignement supérieur