C'est l'encre qui doit couler. Pas le sang. À l'occasion de la journée internationale pour la liberté de la presse, qui a lieu le 3 mai de chaque année, c'est sur le mur de l'ambassade de Syrie, dans le très calme VIIe arrondissement de Paris, que les membres de Reporters sans frontières ont écrit cela, à l'encre rouge sang, et qu'ils l'ont clamé, en français et en arabe. À l'occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, l'association a choisi d'attaquer symboliquement ce pays dans lequel les journalistes étrangers ne peuvent quasiment pas pénétrer, où les journalistes locaux ne peuvent couvrir les manifestations qui animent la rue depuis un mois et demi, et où les rares voix dissidentes qui osent encore se faire entendre sont aussitôt baillonnées.
Avec l'arme des journalistes, l'encre, l'association entend avant tout défendre le droit des Syriens à savoir ce qu'il se passe réellement dans leur pays et dénoncer la censure que le président Bachar Al-Assad et son gouvernement font régner. En Syrie aujourd'hui, quatre journalistes sont emprisonnés et trois ont disparu. «La Syrie est le pays qui nous préoccupe le plus aujourd’hui. Personne ne sait ce qu'il s’y trame. Combien de morts, combien de blessés parmi les manifestants ? Nul ne le sait car lesjournalistes sont empêchés de travailler. (...) Les autorités de Damas doivent cesser ce black-out médiatique. Des exactions sont sûrement commises en ce moment-même en Syrie dans le plus grand silence parce que la presse est interdite de séjour. C’est inacceptable», a déclaré Jean-François Julliard, secrétaire général de Reporters sans frontières.
La Syrie, au cœur de l'actualité, ne doit cependant pas cacher la situation dramatique qui régit les autres pays arabes en révolution: les peuples du Bahreïn, du Yémen et de Lybie n'ont pas non plus accès à une information libre alors que le sort de leur pays est en train de changer. «La presse a rarement été autant un enjeu dans les conflits. Ces régimes d’oppression, déjà traditionnellement hostiles à la liberté de la presse, ont fait du contrôle de l’information une des clés de leur survie.»
Reporters sans frontières épingle ainsi, dans le monde arabe et dans le monde entier, trente-huit «prédateurs» de la liberté de la presse dans le rapport publié aujourd'hui par l'association. Si l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient y sont à l'honneur, le paysage mondial change, certaines têtes tombent (Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Égypte), d'autres semblent vaciller (Ali Abdallah Saleh au Yémen, Mouammar Kadhafi en Lybie), Internet fait trembler certaines démocraties (Hongrie, France), alors que les dictatures les plus cruelles se maintiennent (Érythrée, Corée du Nord, Turkménistan).
Après avoir manifesté pacifiquement pendant plus d'une demi-heure, une trentaine de militants de Reporters sans frontières a été interpellée par la police et emmenée au commissariat, avant d'être relachée, quelques heures après.