La thématique annoncée de l'édition 2019 du Festival montréalais était "Agir". Vaste programme pour ce deuxième volet, qui n'aura pas tout à fait tenu ses promesses.
Si l'idée de départ est respectée - à savoir, "faire dialoguer" France et Québec sur des problématiques communes, le Festival est apparu toutefois plutôt comme un catalogue d'événements, sans rituel de début ni de fin, à la texture inégale. Les spectateurs francophones eurent peu d'occasion de se côtoyer, et ne fut installé aucun espace de rencontres en dehors des salles de conférence. L'unique rendez-vous en décalage "Danse à la Tohu", une mise en scène collective exclusive et ouverte à tous.tes, fut annulé sans explications ni proposition nouvelle.
Si la forme a charrié son lot de frustration, le contenu des discussions a pu lui aussi laisser songeur. D'un débat à l'autre, le niveau d'exigence variait de manière surprenante. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir invité parmi les plus grands experts et personnalités liés aux thématiques - enseignants-chercheurs de l'UQAM, anciens ministres, présidents, mécènes, divers détenteurs de titres honorifiques de part et d'autre de l'Atlantique...
Le format de la discussion libre est-il à remettre en question ? Certains conférenciers ont brillé par leur complémentarité, et ont su tenir le pari d'un contenu accessible et exigeant, comme ce fut le cas pour la rencontre autour de l'intelligence artificielle (Laurence Devillers, Marc-Antoine Dilhac, Yoshua Bengio), ou sur les relations entre rap et langage (avec Webster et Ogden Ridjanovic). D'autres cependant, durent faire face à des journalistes visiblement peu à l'aise avec leur sujet, ou manquant de points d'accroches pour alimenter le débat : "les associations de riverains qui se mêlent des projets de construction, c'est bien, pas bien?". Une pensée pour cette journaliste du Devoir, Isabelle Porter, qui dut essuyer le refus de l'universitaire Sandrine Ricci, visiblement non-contente d'être là, d'expliciter sa thèse...à propos des violences sexistes et sexuelles, pourtant à l'ordre du jour*, sous prétexte que "ça n'avait pas de rapport". Peu de temps après, Astrid de Villaines, anciennement journaliste à LCP et au Monde, seule représentante française pour parler du mouvement #Metoo en France et apparemment peu documentée - ce n'est pourtant pas les autrices, sociologues et spécialistes qui manquent dans le domaine - donna à la demande de la journaliste québécoise, la définition du féminicide: "c'est quand le conjoint assassine sa femme". Personne, de toute la rencontre n'aura songé à la reprendre, alors même que tout le sens politique de la conférence s'effondrait suite à cette erreur dramatique**.
Que dire de l'omniprésence du "cas Notre Dame" dans la rencontre Est-ce aux politiques de dire le beau ? La question de la croix et de son remplacement (plexiglas, ou en forme de tire-bouchon ?) l'importance du patrimoine, la laideur des aires d'autoroutes : autant de contournements stériles du sujet principal. Plus tard, eut lieu une séquence hallucinante où tous.tes les intervenant.e.s s'accordèrent à dire "qu'il faut laisser les experts faire" et que ce n'est pas "au boucher du coin de s'exprimer sur la couleur du nouveau bâtiment". M.Aillagon, ancien ministre de la Culture, tenta d'endiguer le malaise en rappelant que : "dans un idéal de démocratie, il ne faut pas trop avoir peur de demander aux gens leur avis...". Cependant, aucun échange technique sur la nouvelle réforme des 40% appliquée au mécénat en France, rien sur la réforme de l'audiovisuel, rien de près ou de loin concernant les politiques publiques actuelles.
Bref, "conversation consensuelle" : c'est l'expression qu'a utilisé un journaliste du Devoir pour illustrer l'unique discussion consacrée à l'environnement. Si les témoignages étaient de qualité, une fois encore les débats soulevés par la question posée - Faut-il instaurer une dictature environnementale ? manquèrent globalement de relief, malgré la pertinence des questions du journaliste Simon Roger. Dominic Champagne, metteur en scène et activiste, déclencha par son discours galvanisant plusieurs salves d'applaudissements dans l'assemblée, qui était à forte majorité déjà convaincue du propos.
Force est de constater que le choix de la programmation, plutôt prometteur et se voulant exhaustif, s'est heurté à la volonté de recourir systématiquement à la parole d'experts. Après une première édition réussie, le visage de cette deuxième version a donné plutôt l'impression d'une parenthèse rapide et manquant d'ambition.
* Conférence Après la vague de #Moiaussi, qu'est-ce qui a changé ?
** Le féminicide est le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme - Diane Russel (1980) Femicide : Politics of Woman Killing.