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Billet de blog 11 novembre 2024

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L'élection de Claudia Sheinbaum au Mexique, une réelle avancée ?

Ici, on cherche à savoir si l'élection d'une femme de gauche dans le pays le plus dangereux pour les femmes d'Amérique représente une réelle avancée pour celles-ci : en politique, les femmes cherchent-elles à mettre en avant leur condition ? Le format s'apparente plus à un développement mais j'avais envie de partager !

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Le dimanche 2 juin 2024, Claudia Sheinbaum, est élue présidente du Mexique, première femme à atteindre ce poste, en déclarant “Je n’arrive pas seule ici, mais avec toutes les mexicaines”. 

En parallèle, selon l’INEGI, dans un rapport de 2022 sur les violences contre les femmes au Mexique, 70 % des femmes de plus de 15 ans au Mexique ont vécu de la violence genrée au sein de leur vie en 2021, dont 80% dans l’Etat de Mexico City. Ce chiffre est en hausse depuis 2016, et traduit une situation alarmante sur les violences genrées au Mexique, dont les faits divers sont marqués par une omniprésence de féminicides, à 10 par jour en moyenne. Plusieurs féminicides ont marqué l’opinion publique par leur violence comme celui d’Ingrid Escamilla en février 2020, lorsque plusieurs photos choquantes de son corps ont été publiées dans la presse, ce qui a poussé à des forts appels à manifestations. Cette omniprésence de la mort de femmes au quotidien traduit un pays dans lequel la violence est banalisée, particulièrement la violence de genre. On peut alors penser que ce pays ne serait pas pret à acceuillir une présidente femme, par le symbole fort que cela représente pour les pays et l’imaginaire  collectif du pouvoir, incarné historiquement par un homme.

En opposition, le Mexique a vu un face à face 100 % féminin pour accéder au Palais national, représentant un symbole fort de féminisation de l’espace électoral pour cette élection. 

Claudia Sheinbaum, connue pour sa politique efficace de décriminalisation de Mexico city lorsqu’elle était à la mairie, a été élue largement (60% des suffrages exprimés) grâce à un programme progressiste de la “quatrième transformation”, et en s’inscrivant en continuité avec le président précédent Andrès Manuel Lopez Obrador, dont la cote de popularité était haute en fin de mandat. Dans ce climat hostile aux femmes et de renouvellement du paysage politique genré mexicain, on peut se demander dans quelle mesure l’élection de Sheinbaum comme première femme présidente au Mexique traduit une volonté de sortir des violences de genre ?

A première vue, une femme candidate pourrait mettre en avant sa condition de femme, cependant, les faits sont plus nuancés. 

En effet, l’affiche 100% féminine des candidates de tete à l’élection mexicaine laisse penser que les droits de femmes serait un point majeur dans la campagne, sur les violences de genres, les féminicides, l’avortement, l’égalité salariale… La réalité est différente. En effet, si Sheinbaum mentionne les droits des femmes dans sa campagne de la même façon que sa principale opposante de droite Xochitl Galvez, aucune d'entre elles ne fait du féminisme le point essentiel de leur campagne, et restent discrètes sur plusieurs sujets. 

Leurs programmes respectifs restent très nuancés et flous sur les droits des femmes. Pour commencer, Sheinbaum, qui porte le programme du parti “Mouvement pour la régénération nationale” Morena, plutôt à gauche, est plutôt critiquée par les associations féministes. En effet, malgré la baisse de criminalité lors de son mandat comme maire de Mexico city, les féminicides y restaient proéminents : 80 féminicides à Mexico City uniquement lors des cinq premiers mois de 2019, selon le conseil national de santé publique (CNSP) , et c’était la région la plus meurtrière pour les femmes en 2021. 

Sheinbaum a soutenu la dépénalisation de l’avortement dans l’Etat du Mexique et souhaite l’unifier à tout le pays par une loi fédérale : actuellement l’avortement est dépénalisé dans 14 sur 32 états, malgré l’inscription  de celle-ci dans le code pénal mexicain. Le système politique y est tel que certains États ne peuvent pas l’appliquer. 

Ensuite, Sheinbaum souhaite par exemple rendre le féminicide un crime au niveau national, en créant une définition fédérale de ceux-ci pour standardiser la loi mexicaine et renforcer la dureté de la loi face à ceux-ci. 

La nouvelle présidente a également fait campagne en voulant promouvoir l'égalité de représentation des femmes au gouvernement et dans les services publics et en avançant un futur dialogue avec des associations pour lutter contre les violences faites aux femmes. Son opposante politique, Xotchil Gomez, a elle mis l’accent sur la sécurité en proposant un renforcement de la police locale et la garde national pour lutter contre les violences faites aux femmes, et met en avant son profil de femme entrepreneuse comme un exemple de réussite féminine. 

Cependant, aucune des deux femmes en tête n’ont réellement émergé comme défenseures des droits des femmes, leurs mesures restent limitées et jugées insuffisantes pour les associations féministes, sûrement par visée électoraliste. 

En revanche, les partis respectifs des deux candidates en tête n’hésitent pas à instrumentaliser leur condition de femmes comme quelque chose de progressiste : une femme présidente reste un symbole fort pour la quinzième puissance économique mondiale, dans un monde ou seules 10 % des dirigeants du monde sont des femmes, selon une étude de l’observatoire des inégalités en 2023. 

L’enjeu féministe absent de cette campagne est l’accent sur l’accès à l’avortement ; malgré son soutien à la dépénalisation, Sheinbaum restait discrète sur le sujet, pour ne pas effrayer un électorat moins progressiste sur le sujet. Cette absence représente un réel manquement pour les féministes, dans un contexte de montée de contestation de ce droit fondamental pour les féministes, lorsque le voisin étatsunien du Mexique a supprimé la loi fédérale qui le protégeait, la loi constitutionnelle Roe vs Wade le 24 juin 2022. 

Ainsi, on peut se pencher sur notre sujet initial ; avoir une femme présidente traduit-il une prise de conscience féministe dans un pays ? L’exemple du Mexique laisse penser que non, la représentation des femmes en politique ne traduit pas un réel désir d’améliorer la place des femmes en société. L'élection de Sheinbaum a largement été soutenue par son prédécesseur homme, qui permet de lui transmettre son importante cote de popularité. Sheinbaum souhaitait mettre en avant sa continuité avec les politiques de AMLO et la “Quatrième transformation” pour accès sa campagne sur des sujets plutôt universels comme la précarité et la mise en place d’un changement majeur dans une perspective sociale et d’aides aux personnes dans le besoin.  Ainsi, l’omniprésence de la popularité, haute de 70% en fin de mandat, d’un homme politique pour mettre en avant une femme candidate reste une nuance à la réelle popularité de Sheinbaum.

Dans le pays d’Amérique considéré par l’ONU comme le plus dangereux pour les femmes, la sécurité des femmes n’est pas mise au premier plan : l'élection d’une femme ne change pas tant si elle meme ne souhaite pas impulser des changements concrets. Les collectifs féministes mexicains restent très critiques à son égard, notamment à cause de l’importante répression policière lors de manifestations féministes à Mexico City sous son mandat. 

Le mandat présidentiel de Sheinbaum a commencé que le 1er octobre 2024, elle peut en revanche montrer une politique nouvelle lors de ses six années au Palais national. Finalement, ce que l’election de Sheinbaum comme nouvelle présidente montre est plus un exemple de réussite féminine, de dépassement du “plafond de verre” pour une femme plutot que une future mise en place de moyens très importants pour la lutte contre les violences faites aux femmes, ou encore de remise en question du système patriarcal de sa part. C’est à elle de montrer un moyen de gouverner différent de celui d’AMLO qui a été critiqué sur plusieurs de ses prises de paroles sur les violences contre les femmes : il qualifiait notamment le féminisme de “mouvement bourgeois” et son absence de politique concrète pour la condition des femmes au Mexique.. 

Cet sujet est donc à coeur dans l’actualité car il nous permet d’appréhender le mandat de Sheinbaum avec un questionnement très important sur sa façon de traiter la question féministe, va t-elle réussir à se distinguer de son prédécesseur très populaire en mettant en place des politiques concrètes et à echelle globale. C’est notamment la question que se pose Laura Carlsen dans un article publié dans Democracy Now le 4 juin 2024. 

Cette critique est également exposé par la juriste et défenseure du droit à l’avortement Ninde Molina dans un article de “El Pais”, qui déclare que les femmes en politiques n’ont pas appliqué le programme féministe promu par les associations de la lutte des droits des femmes et regrette que les femmes en politique doivent se conformer à une discipline de parti qui ne met pas en avant un pays égalitaire entre les hommes et les femmes. Cette activiste, populaire et influente, rappelle qu’etre une femme ne signifie pas etre en faveur du féminisme, mais laisse quand meme de la place à de l’espoir de voir la culture machiste mexicaine changer. 

Ainsi, au Mexique, l'élection de Sheinbaum arrive à un moment critique et clé pour la sécurité des femmes dans le pays, et représente un enjeu majeur pour voir des avancées fortes. En revanche, au Mexique mais dans le monde aussi, une femme positionnée haut en politique ne signifie pas une sensibilisation ou un agenda féministe mis en avant.

Bibliographie : 

  • “ Mexique : Claudia Sheinbaum, la candidate de gauche, remporte très largement la présidentielle”, France Tv et AFP, 3/06/2024 
  •  “Les femmes cheffes d’État ou de gouvernement dans le monde”, Observatoire des inégalités, 29/10/2024 
  •  “ « Nous sommes là pour le raconter » : les femmes mexicaines brisent le silence sur les féminicides”, Nations unies, 3/07/2023, 
  • ROUQUETTE Pauline, “ Féminicides au Mexique : entre corruption et injustice, la double peine des familles de victimes”, France 24, 15/01/2023 
  • BOUGON François, “Le Mexique se prépare à élire une présidente pour la première fois”, Mediapart, 7/09/2023 
  • “Féminicides au Mexique : la double peine du deuil et de l’impunité”, Amnesty International, 15/12/2022  
  • “Violence against women in Mexico National Survey on the Dynamics of Household Relationships” Rapport de l’INEGI (Instituto Nacional de Estadística y Geografía), 2022 
  • GOODMAN Amy, CARLSEN Laura, GONZÁLEZ Juan,““More Than a Symbolic Victory”: Mexican Women’s Movement Paved Way for Election of 1st Female President”, Democracy Now, 4/06/2024 
  • “Mexique : la candidate de gauche Claudia Sheinbaum devient la première femme élue présidente”, Les Echos, 3/06/2024 
  • “”Je n’arrive pas seule, nous arrivons toutes” : au Mexique, Claudia Sheinbaum officiellement investie première présidente”, Le Nouvel Obs avec AFP, 1/10/2024 
  • “Au Mexique, la nouvelle présidente Claudia Sheinbaum annonce une série de mesures pour les droits des femmes”, Libération, 3/10/2024 
  • OSBORN Catherine, “What Madam President Means for Mexico”, Foreign Policies, 17/05/2024 

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