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Billet de blog 15 avril 2017

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2084 La Fin du monde, Boualem Sansal

"Combattre hardiment les marchands de fumée". "La religion peut faire aimer dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité". BS Toute ressemblance...

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Illustration 1
© Folio 6281

Depuis 2084 (il n'y a pas d'avant) et la fondation de l'Appareil par Abi, l'Abistan prospère sur les ruines de l'Angsoc*. Les limites de ce pays sont claires : ce sont celles de la planète (ou pas, sait-on jamais...).

 Ses maîtres ont forgé l'abilang en découvrant que le verrouillage du système politique de l'Angsoc reposait tout entier, bien avant le feu des armes, sur la puissance de la novlangue, "une langue inventée en laboratoire qui avait le pouvoir d'annihiler chez le locuteur la volonté et la curiosité". Aux trois principes fondateurs (La guerre c'est la paix, La liberté c'est l'esclavage, L'ignorance c'est la force) ont été adjoints : "La mort c'est la vie", "Le mensonge c'est la vérité", "La logique c'est l'absurde". L'ensemble fait office de MOAA (Mother Of All Arms).

 L'Abistan, depuis la défaite totale de L'Ennemi,  est la chose, la possession d'Abi, élu par Dieu. Pour occuper les temps de cerveau disponible d'une population inculte donc réceptive, il a reçu des instructions de Yölah, son Très-Haut, consignées dans le Gkabul.** Il a nommé les quarante dignitaires de la Juste Fraternité qui constituent son gouvernement. Leur unique tâche est d'organiser la vie religieuse (il n'y a pas d'autre activité économique que les pèlerinages) de manière à ce qu'aucun vide dangereux ne vienne interrompre le flux des litanies obligatoires.

 "La Révélation est une, unique et universelle, elle n'appelle ni ajout ni révision et pas plus la foi, l'amour ou la critique. Seulement l'Acceptation et la Soumission."

 Toutes choses ayant été réécrites, et la langue officielle ne comptant guère de mots de plus d'une syllabe, la gouvernance s'avère aisée et profitable pour le clan au pouvoir : peu d'argumentaires naissent dans le vide intellectuel.

 Saoûlés de "Yölah est grand","Abi est son Fidèle Délégué", les Abistanis attendent patiemment leur tour de péleriner. Qui vient tard ou jamais car ils sont si nombreux qu'il existe des listes d'attente. Si l'on meurt dans la file, qualifié de martyr, on transmet son "droit" à son premier héritier mâle.

 Là-dessus, le pouvoir discrétionnaire étant ce qu'il est, la manipulation est parfois un peu visible. Ati, un jeune homme rescapé du sanatorium d'altitude où l'on entasse les tuberculeux jusqu'à ce que mort s'ensuive, a des doutes. Il en vient à imaginer "de briser la chaîne qui amarre la foi à la folie et la vérité à la peur, pour se sauver de l'anéantissement". C'est curieusement la découverte fortuite de l'hypocrisie nécessaire au parfait croyant qui lui fait comprendre que "la vraie religion ne peut rien être d'autre que la bigoterie bien réglée, érigée en monopole et maintenue par la terreur omnisciente".

 La métamorphose se fait "dans la douleur et la honte". Et puis à quoi s'accrocher puisque "rien n'existe, même pas Dieu" ?

 Mais contre toute attente, il n'est pas seul. De retour dans sa ville tentaculaire de Qodsabad, il ose franchir les limites de son quartier. Premiers pas vers la connaissance, il croise les Regs, renégats tolérés car ils justifient la terreur et alimentent les trafics des officiels.

 Il découvre que la Soumission ayant ses limites, c'est le bobard qui reste le meilleur des vecteurs de pacification : "Les peuples, comme les prisonniers dans un camp, sont d'une extrême sensibilité, la moindre petite rumeur les bouleverse. Qu'ils entendent dire que la hir***  va manquer ou coûter un didi de plus et voilà le pays en flammes, on annonce la fin du monde..." "injecter le poison aux bons moments, aux bons endroits, à la bonne dose... la bête réagit exactement comme dans les tests de laboratoire."

 Le Chitan, renommé Balis, réside dans les détails, on le sait. Ne serait-ce pas l'autre nom de ce Démoc... Dimouc... Dmoc évoqué à voix basse par de vieux olibrius subclaquants ?

 Mais dans ce "monde né de la religion, où tout messager est un prophète, tout accompagnateur un apôtre qui revient de loin , qui s'interroge et discutaille est hérétique".

  Le monde a-t-il besoin de philosophes ? Ayant dépassé la peur de mourir, car ce n'est pas vivre que respirer cet air-là, Ati et son dernier comparse conviennent "honnêtement que le grand malheur de l'Abistan est le Gkabul : il offre à l'humanité la soumission à l'ignorance sanctifiée comme réponse à la violence intrinsèque du vide, et, poussant la servitude jusqu'à la négation de soi, l'autodestruction pure et simple, il lui refuse la révolte comme moyen de s'inventer un monde à sa mesure qui à tout le moins viendrait le préserver de la folie ambiante. La religion, c'est vraiment le remède qui tue."

"...le monde de Bigaye que je décris dans ces pages n'existe pas et n'a aucune raison d'exister à l'avenir, tout comme le monde de Big Brother imaginé par maître Orwell, et si merveilleusement conté dans son livre blanc 1984, n'existait pas en son temps, n'existe pas dans le nôtre et n'a réellement aucune raison d'exister dans le futur. Dormez tranquilles, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle".

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 *    1984, Georges Orwell 

** "fruit du "dérèglement interne d'une religion ancienne qui jadis avait pu faire les honneurs et les bonheurs de maintes grandes tribus des déserts et des plaines, dont les ressorts et les pignons avaient été cassés par l'usage violent et discordant qui en avait été fait au cours des siècles, aggravé par l'absence de réparateurs compétents et de guides attentifs"

*** hir : sorte de bouillie qui constitue en tout et pour tout la nourriture du peuple

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Epilogue : Dans lequel on apprendra les dernières nouvelles de l'Abistan. Elles ont été cueillies dans différents médias : La Voix de la Kiïba, Nadir*-1 Station de Qodsabad, Les NoF**, La Gazette des CJB* intitulée Le Héros, La Voix des Mockbas, La Fraternelle des Civiques****, la Revue des armées, etc. Il convient de les prendre avec la plus grande circonspection, les médias abistani étant avant tout des instruments de manipulation mentale au service des clans.

*Nadir : Journal mural électronique  **NoF : Nouvelles du Front   ***CJB : Croyants Justiciers Bénévoles   ****Civiques : les V, surveillants miliciens

Commentaire personnel : tout ce qui est énoncé ici ne peut l'être que par des makoufs, propagandistes de la Grande Mécréance, secte mille fois honnie. Ceux qui ont eu le front de taguer "Bigaye vous observe" sur un coin de mur écroulé.

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