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Billet de blog 16 novembre 2023

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En soutenant Israël sans réserve, notre diplomatie glisse vers l’extrême-droite

En autorisant tacitement l’État d’Israël à massacrer des milliers de civils dans la bande de Gaza, la France s’est faite complice du génocide en cours. La dérive idéologique du gouvernement se manifeste désormais au cœur de sa diplomatie – une dimension du champ politique qui tend par nature à échapper au contrôle démocratique, mais qui est de plus en plus scrutée par l’opinion publique.

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Depuis le début des bombardements à Gaza, la matrice unique d’Emmanuel Macron à l’égard d’Israël a été celle d’un soutien inconditionnel. Nos représentants ont refusé de voter un texte appelant à un cessez-le-feu au Conseil de Sécurité le 16 octobre dernier, et ont brandi le « droit à la légitime défense d’Israël » tout en sachant que celui-ci était le nom caché d’une « dissuasion fondée sur la disproportion » (une stratégie illégale au regard du droit de la guerre). Ce faisant, ils ont octroyé un blanc-seing au gouvernement pour procéder au massacre de milliers de civils. En s’échinant à nier les signaux génocidaires et les crimes de guerre, le Président s’oppose aux personnes suivantes : le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, une commission d’enquête des Nations unies, les experts d’Amnesty International, ainsi que des juristes et des avocats de renommée internationale.

Il n’y a pas de mots pour qualifier l’indécence affichée par les dirigeants des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Union européenne, qui se gargarisent de principes humanitaires en envoyant de l’aide à Gaza – notamment lors de la conférence de donation réunie sous l’égide de l’Élysée le 9 novembre. Les dizaines de milliers de Palestiniens tués et blessés dans les bombardements auraient pu être épargnés si ces puissances n’avaient pas failli à leur devoir : il est en effet de leur responsabilité juridique, en leur qualité de « hautes parties contractantes » de la Convention de Genève, de pousser les États sur lesquels elles ont une influence à respecter les règles du droit international humanitaire. Or, c’est tout l’inverse qu’elles ont fait, en fournissant un soutien politique, économique et militaire au projet colonisateur et aux bombardements d’Israël. Soutien également de nature discursive, en alimentant une rhétorique déshumanisante à l’égard du peuple palestinien.

Une dérive autoritaire

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le « glissement autoritaire » de l’État a été abondamment commenté : politiques anti-sociales, usage excessif de la force durant les manifestations, violence et impunité policières, obsessions islamophobes, contrôle migratoire renforcé, emploi abusif du 49.3… jusqu’à être épinglé par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le Conseil de l’Europe et la ligue des droits de l’homme. De nouveaux termes ont fait florès pour désigner la France : une « démocratie illibérale », « autoritaire » et « policière », un président « fascisateur »…

Si la politique étrangère n’a pas été commentée sous le prisme de cette « extrême-droitisation », c’est sans doute parce que cette politique est par essence autoritaire, échappant au contrôle démocratique et parlementaire. Ainsi, des chercheurs ont montré la place résiduelle des réalités internationales dans les débats politiques français.[1]

Or, dans son soutien aveugle à un régime menant une politique d’apartheid et un projet ethno-nationaliste de colonisation,  la connivence de la majorité avec le répertoire de l’extrême-droite est flagrante : Marine le Pen et Jordan Bardella ont affiché tout leur soutien au ministre israélien, niant les crimes de guerre qu’ils ont qualifiés de « riposte légitime ».

Un discours déshumanisant et déshistoricisant 

Dans la même veine, en proposant le redéploiement de la coalition internationale contre l’État Islamique contre le Hamas, le Président décontextualise et occulte la situation d’occupation, et opère un amalgame qui mêle les Palestiniens au Djihad global (dans lequel ils ne sont pas impliqués), enrobant sa réponse d’un discours civilisationnel qui n’est pas sans rappeler les thèses néoconservatrices et hungtintoniennes du « choc des civilisations ». Un discours déshumanisant et déshistoricisant qui emprunte à des procédés rhétoriques de l’extrême-droite.

Enfin, la méfiance exprimée à l’égard des institutions internationales et le rejet du droit international pour laisser la main libre à Israël au nom de sa souveraineté rejoint aussi les rivages d’un autoritarisme virulent : la France rejette la mise en pratique juridique de la solidarité appelée de leurs vœux par plusieurs organisations internationales et par la société civile internationale. Cette approche contribue à propager une vision de l’histoire dénuée de charge morale.

Criminaliser l’opposition à un génocide

Autre expression de la dérive de la puissance publique : la criminalisation de la solidarité avec le peuple palestinien – criminalisation, donc, de l’opposition à un génocide. Celle-ci passe par l’interdiction des manifestations, l’expulsion de la militante palestinienne Mariam Abou Daqqa, l’arrestation de responsables syndicaux, la criminalisation du boycott et de messages sur les réseaux sociaux… Dans le contexte actuel, toute critique de la politique gouvernementale est qualifiée de « terroriste », un procédé abondamment employé dans les régimes autoritaires.

Contrôle de l’opinion publique

L’ampleur des mobilisations de solidarité avec le peuple palestinien (des milliers de manifestants en France ce samedi 11 novembre) remet en cause les théories sur le suivisme et l’apathie de l’opinion publique en ce qui concerne les conflits internationaux. Ces mobilisations résultent en partie de l’internationalisation de l’information et de la puissance contre-hégémonique des réseaux sociaux, prompte à nuancer l’approche deux poids-deux mesures de la plupart des médias français.

 En écornant les discours dominants, cette effervescence protestataire érode sérieusement la puissance publique. En cas de crise internationale, cette dernière dispose de deux outils pour influencer l’opinion : la maîtrise de l’information diffusée dans l’espace public d’une part ; et le contrôle policier de l’accès au débat de certaines franges jugées dangereuses d’autre part.[2] La France fait usage des deux : la première facilitée par la concentration des médias dans les mains de quelques milliardaires, et le second par la répression des manifestations.  

Malgré cela, la mobilisation s’étend et se poursuit : elle met en lumière un refus profond du monopole de l’État en matière de politique étrangère et la volonté de voir celle-ci mise au centre du débat démocratique.

Un choix politique

Notre soutien aveugle à la stratégie militaire d’Israël est un choix politique qui n’a rien d’une fatalité, ainsi que nous le montrent les prises de position contrastées de représentants en Irlande, en Écosse ou en Espagne. Plus frappant encore, le courage de pays tels que l’Afrique du Sud, le Brésil et la Bolivie, qui font usage du levier diplomatique pour exercer une pression directe sur la puissance coloniale. Des réactions qui ont tendance à être dépréciées dans les médias occidentaux comme étant le simple reflet d’une « sensibilité » de nature « anticoloniale » ou « propalestinienne », comme s’il s’agissait là de réactions de circonstance, voire tenant du registre de l’émotionnel. Or, ces réactions devraient être appréciées à leur juste valeur : celle d’un engagement véritable et cohérent pour les droits de l’homme ; un engagement pour la mise en pratique institutionnelle et juridique d’une morale internationale. Ces pays nous montrent la voie à suivre.

Il fut un temps, la France avait pu se targuer d’incarner à l’étranger un tel engagement universaliste en faveur des droits de l’homme. Une époque clairement révolue.

[1] Par exemple, voir : Chemillier-Gendreau, M. (2002). La politique étrangère écartée des débats ou la démocratie amputée. Mouvements23(2002/4), 118-122.

[2] Par exemple, voir : Blanc, F., Loisel, S., & Scherrer, A. (2005). Politique étrangère et opinions publiques: les stratégies gouvernementales d’influence et de contrôle de l’opinion publique à l’épreuve de son internationalisation. Raisons politiques, (3), 119-141.

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