Un retour sur la gestion de la communication de crise suite à ce crash aérien et sur le problème de la transparence de la communication officielle en ces circonstances.
La communication initiale des services officiels est très douteuse : Foudroiement, panne électrique générale, pot au noir, …, confirmés par Air France, la DGAC, le Ministère (Mr Borloo). Il faut attendre l'intervention du président de la République pour remettre un peu d'ordre.
Ce qui est étonnant c'est que les messages ACARS sont disponibles depuis des heures alors pourquoi ces officiels se sont ils empressés de mettre en avant une hypothèse telle que le foudroiement, certes plausible, mais que rien n'appuyait. Admettons, qu’ils n’aient pas pensé à cette source d’information, tout occupés qu’ils étaient à gérer la crise.
La météo "extrême" est vite démentie de par le journal "Le Monde" dès le 2 juin mais il faut attendre le 6 juin pour que Météo France confirme dans un communiqué, assez nul d'ailleurs, que rien d'extraordinaire ne s'était passé cette nuit. Tous les autres vols qui sont passés dans la même zone cette nuit l'ont confirmé.
Cela ne prouve rien bien sur, mais quand même ! Des satellites de la NASA évacuent le scénario d'une zone orageuse exceptionnelle (aucun éclair relevé lors du passage 6 mn après le dernier message reçu). Il en est de même du réseau de suivi des éclairs en ondes VLF basé au sol. Evidemment cela ne prouve rien. C'est juste moins probable. Un météorologue américain, Tim Vasquez, commence dès le 2 juin une analyse très fouillé de la situation. Vous pouvez la consulter sur http://www.weathergraphics.com/tim/af447/
Je pense que Météo France pourrait s'en inspirer.
Le 2 juin les messages ACARS commencent à transpirer ce qui n'empêche pas les délires médiatiques divers et glauques. Néanmoins, le BEA est quasiment obligé de reconnaître qu'un problème d'incohérence des vitesses est avéré. Il le fait le 5 juin. Entre temps (le 4 juin) les messages ACARS partiels sont sortis et de nombreux experts et pilotes se penchent dessus.
Je vais m'arrêter là. Mais malheureusement, l'on retrouve les vieux schémas de la communication officielle d'il y a 10 ou 20 ans qui ont fini par discréditer partiellement le BEA, la DGAC, …, dans l'opinion de beaucoup d'experts et de pilotes.
Je comprends les familles qui se portent partie civile pour avoir accès au dossier car elles soupçonnent la rétention ou l’absence de transparence de l'information.
Le problème de transparence provient, à mon avis, de plusieurs causes :
Il y a un vrai soupçon de passif historique :
- Une vieille tradition française d’auto défense et de préservation de l’intérêt national : Cela remonte au général De Gaulle qui s’est battu pour et a soutenu la création d’une industrie française indépendante. C’est en parti grâce à cette volonté politique prolongée par les successeurs du général que nous avons Airbus, Ariane, Le Rafale, … Ce n’est pas une critique mais c’est le constat que cela peut introduire un biais.
- L’état, juge et partie : Pendant des années, Air Inter a été LA compagnie intérieure en situation de quasi monopole. Air France, LA vitrine de la France sur les lignes internationales. La DGAC, LE seul organisme de certification, le BEA, LE seul organisme d’enquête, le contrôle aérien, … Toutes ces entités étaient à 100% sous le contrôle de l’état. Côté industrie, c’était assez similaire, et même quand elles étaient privées, elles dépendaient fortement des commandes et subventions de l’Etat. Il en allait de l’indépendance nationale ! NB. Ce n’est pas mieux à l’étranger et ce ne sont pas les peaux de bananes américaines qui ont manquées. C’est juste pour pointer que lorsque l’on est juge et partie à la fois cela peut prêter au soupçon en cas de catastrophe.
- Une gestion très douteuse de crashs précédents : A revisiter le cas du crash du vol 147 d’Air Inter sur le Mont Sainte Odile en 1992. Un autre exemple est l’accident d’Habsheim (1998) : un rase motte d’un A320 d’une ligne régulière, avec tous ses passagers, pour un meeting aérien et qui se finit dans la forêt (3 morts, environ 100 blessés) ! http://www.crashdehabsheim.net/ Il y a des moments où l’on hallucine ! Charm El-Cheikh (vol 604 de Flash Airlines - 2004) contribue aussi aux multiples interrogations sur les enquêtes …
- Un cercle restreint de responsables : L’actuel patron d’Air France, Pierre-Henri Gourgeon, était patron de la DGAC au moment de la certification de l’A330 ou du crash du Mont Sainte Odile (il avait d’ailleurs été mis en examen). Paul-Louis Arslanian, actuel patron du BEA est en poste depuis 2001. On peut y rajouter Noël Forgeard, patron d’Airbus de 1998 à 2005 puis d’EADS jusqu’en 2007. Le scandale des ventes de ses stocks options avant l’annonce des retards de l’A380 a précipité son éviction (campagne présidentielle oblige). Ne le plaignons pas, 8.4 million d’Euros en indemnité de départ, c’est pas mal. Il a été mis en examen le 30 mai 2008 mais on n’en entend plus beaucoup parler. Au même moment, l’employé d’Airbus se voyait crédité de 2.88 Euros de prime sur résultat ! Cherchez l’erreur. Une anecdote : Ils sont tous issus de la promotion 1965 de l’école Polytechnique de même que le patron des essais en vol d’Airbus d’ailleurs (A330, A340, A380) dont le professionnalisme n’est guère contesté. A méditer ! De plus il est probable que Mr Arslanian ne serait pas resté à la tête du BEA s’il n’avait pas montré le niveau de complaisance ad-hoc face à tous les puissants concernés (cf. le préfet dans la gestion des égouts privés de la belle mère …).
- Des enjeux industriels et financiers énormes : Les contrats atteignent facilement des montants en milliard d’Euros (ce n’est pas donné un gros avion). A ceci, il faut ajouter une concurrence impitoyable, en particulier avec les américains.
- Des enjeux d’image de marque difficilement quantifiables mais importants : Par exemple, si le non remplacement des Pitots s’avère être un élément important dans la chaîne de causalité qui a conduit au crash, la position de la DGAC va être difficile à tenir. La DGAC va répondre que c’est désormais le rôle de EASA – organisme européen – mais qui s’appuie sur les recommandations des entités nationales. Facile, nos politiques font cela à tour de bras, l’Europe … D’où la question : Pourquoi n’avez-vous pas émis un bulletin contraignant (dans le jargon, une Airworthiness Directive) imposant le remplacement de Pitots suite à l’annonce des faiblesses avérées fin 2007 par Airbus et Thales (Face à une faiblesse similaire, cela avait été fait en 2001). De même Air France peut se retrouver sous le feu des critiques. Ce serait plutôt injuste car la compagnie avait décidé par précaution (sans aucune obligation) de changer tous les Pitots, en commençant par les A320 qui étaient les plus exposés. Depuis le 27 Avril, ils attaquaient les A330/A340. Peut être trop tard pour le vol AF 447 et ses 228 victimes.
- Des obligations judicaires du style « secret de l’instruction » : C’est complètement faux dans le cas du BEA et c’est clairement énoncé dans une directive européenne de 1994 reprise dans un loi française du 29 mars 1999 : « Il convient de préciser que l'enquête technique a pour seul objectif la prévention de futurs accidents. Pour cela, elle s'attache à déterminer et comprendre les circonstances d'un événement, à en identifier les causes et à en déduire des leçons de sécurité, sans rechercher les responsabilités ou fautes éventuelles. Son action est donc distincte de la démarche que peuvent conduire de leur côté les autorités judiciaires. ……L'enquête peut conduire le BEA à émettre des recommandations de sécurité : ce sont des propositions d'actions considérées comme utiles à la sécurité aérienne sur la base des constatations des enquêteurs, et qui, ainsi que le précise la directive européenne 94/56/CE, ne constituent en aucun cas une présomption de faute ou de responsabilité. ». Le BEA peut donc (doit donc) opérer en toute transparence.
- Quelques enjeux immédiats : Salon du Bourget, crise du transport et du fret aérien, etc.
- La position des pilotes est parfois ambigüe : Les syndicats de pilotes ne sont pas toujours très clairs dans leurs accointances avec la direction de l’entreprise. Celles-ci sont parfois douteuses (il faut bien négocier nos positions … Ex, la représentativité syndicale). Individuellement, un pilote en tant qu’employé de l’entreprise est soumis à une obligation de réserve. Autre aspect du problème : Les pilotes sont fréquemment mis en cause dans la chaine des évènements qui conduit au crash. Qu’ils ne l’apprécient pas est compréhensible. Qu’ils aient l’impression de se retrouver dans un rôle de bouc émissaire pour masquer des défaillances système est aussi compréhensible. Ceci dit, quand tous les systèmes se cassent la gueule, il ne reste que le pilote qui va ou ne va pas faire un miracle.
OK, j’ai fait ma dose sur la théorie du complot. Cela va peut être faire gamberger certains mais ce n’est pas simple. Néanmoins quelques exemples du passé dénoncent les pressions exercées sur ceux qui s’opposent à la version officielle : A lire, concernant l’ancien responsable du syndicat des pilotes d’Air France. Il semble qu’il ait été lourdement harcelé du fait de son opposition à la vérité «officielle ».
Son site http://jacno.com/ et son livre http://jacno.com/livr.pdf
Consultez aussi http://airbus.20minutes-blogs.fr/
C’est évidemment très partial et est donc critiquable. Néanmoins, cela mérite que l’on se pose un certain nombre de questions sur le fonctionnement des enquêtes consécutives à un crash aérien.
Conclusion forcément partielle :
L’enquête devrait produire des résultats. Puisqu’elle est multinationale, car il y a des victimes de 34 nationalités, il va être difficile de planquer les faits, d’où mon appel à la transparence !
Un exemple flagrant de non transparence : Les fameux messages ACARS qui ont déclenché le débat sur les Pitots. Ils étaient disponibles dès le jour du crash (chez Air France) mais n’ont pas été diffusés officiellement. Le lendemain, les fuites on commencé et cela a culminé par la mise en ligne le 4 juin d’une capture d’écran d’un logiciel de maintenance utilisé pour décrypter grossièrement les messages ACARS. Cependant ils sont incomplets. Il manque dans cette capture d’écran de nombreux champs qui pourraient permettre de cerner plus précisément le problème (il manque aussi les messages où l’avion rapporte sa position – un toutes les 10 minutes). Pour les diverses interprétations possibles consultez : http://www.eurocockpit.com/
Il est évident qu’Air France et le BEA ont à leur disposition l’intégralité des champs ACARS. Or le 6 juin, durant sa conférence de presse, Mr Arslanian (patron du BEA) s’est bien gardé d’afficher l’intégralité des messages ACARS. Au contraire, il a repris la même capture d’écran ! Peut être que Mr Arslanian veut nous faire croire qu’il effectue son enquête grâce à internet !
Les familles et proches des victimes ont bien raison de s’organiser en association et de dénoncer le manque de transparence. Il est quasiment avéré.
J’espère que le souvenir des 228 victimes ne vas pas s’évaporer trop vite, une fois que le soufflé médiatique sera retombé (cela commence déjà). La stratégie du silence est généralement payante et laisse les proches des disparus bien seuls face aux inerties administratives et judiciaires et aux éventuelles pressions telles que celles incitant à des accords d’indemnisation à l’amiable.