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Billet de blog 23 février 2009

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La vie et rien d'autre

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

D’abord faire le deuil de l’éternité. Elle tue ! Je crois que c’est tout petit que j’en ai eu le sentiment, à Saint-Flour. Il y a là-bas un pont, un vieux pont médiéval, dans une pile du pont une cellule est aménagée. En passant devant, je devais avoir cinq ans, mon grand-père m’a raconté qu’une sainte femme, pour forcer la porte du paradis, s’y était faite enfermer définitivement. Elle y vivait dans le froid et dans ses excréments du pain et de l’eau que les passants, désireux de profiter des prières rendues plus efficaces par sa souffrance, lui passaient par un trou. Elle pensait gagner la vie éternelle et elle jetait sa vie à la poubelle. Pour beaucoup ce n’est qu’une curiosité touristique, mais moi, cela alimentait mes cauchemars d’enfant.

C’est à cela que j’ai pensé ce matin en apprenant qu’une jeune fille de 17 ans, heureuse de faire un beau voyage avec ses copains est morte. Des crétins pensent que la vie c’est après, c’est plus tard et que ce sera pour eux s’ils tuent ce qui ne leur ressemble pas. Il leur faut supprimer cette modeste fleur de liberté potentielle qu’est la vie d’un corps, une miraculeuse goutte d’être dans un océan de non être. On ne sait pas pourquoi elle est là. Moi je n’en remercie personne, mais je la prends et je la respecte chez les autres. Pas de ce respect faux-cul de ces hordes braillardes qui manifestaient devant l’hôpital où était attaché le corps inerte d’Eluana qui profitait de la modeste autorisation qu’on lui avait laissé de mourir de faim et de soif pour enfin tirer sa révérence ; pas ce respect vertueux qui a obligé Marie Humbert à piquer son propre fils ou Chantal Sébire à partir seule et en silence. Je n’aime pas non plus ce meurtrier amour de la vie des sauvages qui brandissent sur des pancartes des photos de fœtus, mais se foutent des enfants de Bogota qui vivent en tas sur les trottoirs parce que leurs parents trouvent immorale la contraception et en lâchent un par an dans la rue. Ceux-là ils ne considèrent leur vie et celle des autres que comme un investissement qui leur rapportera gros pour plus tard. Ils ne savent pas que ce sont des Madoff de l’éternité qui le leur proposent.

Fort heureusement, je le reconnais, la plupart de ceux qui croient au ciel sont des investisseurs plus prudents, ils ne misent pas tout sur le ciel. Il y a beaucoup de joyeux frère Jean des Entommeurs qui se répartissent équitablement entre le service divin et le service du vin. Je les en remercie, c’est eux qui font que beaucoup de sociétés sont à la fois croyantes et vivables. On y transforme la foi en fêtes dont certaines rythment aussi notre vie. Merci à Caravage qui conforte sa foi dans l’obscurité des tavernes et plonge ses pinceaux dans les couleurs du désir pour représenter la sainteté de saint Jean-Baptiste. Merci, donc à ceux qui veulent vivre ici tout en espérant vivre après. Je crains tout de même qu’ils ne facilitent la tâche aux autres, à ceux qui sèment la mort et la tristesse pour une illusion d’éternité.

Ce n’est pas toujours facile de penser le néant futur, mais tout de même, si tout le monde pouvait se rendre compte que le paradis et ici et l’enfer aussi, que chacun de nous est responsable de son paradis et de son enfer et de celui des autres, le pas que l’on ferait serait plus grand que celui d’Armstrong sur la lune.

Allez, le paradis, Renoir l’a saisi, le déjeuner des canotiers, c’est la fin du repas, tout le monde est gai, on est ensemble, juste le souvenir qu’aurait du ramener ce groupe de jeune de Levallois, si une bande de brute n’avait pas pensé tirer une belle traite sur sa vie éternelle.

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