Parmi les victimes silencieuses de ces drames : l’éducation, pourtant pilier fondamental de tout développement humain. En 2024, 103 millions d’enfants — soit 1 sur 3 dans les zones en crise ou en conflit (34 pays) — n’étaient pas scolarisés. Les chocs climatiques, eux, ont perturbé la scolarité de 242 millions d’élèves dans 85 pays. Par ailleurs, plusieurs pays donateurs ont annoncé des réductions drastiques de leurs budgets internationaux d’éducation : États-Unis, Royaume-Uni, Suisse, Pays-Bas…
La France, malgré une réaffirmation politique en faveur de la solidarité internationale lors du Conseil présidentiel pour les partenariats internationaux du 4 avril, a elle aussi annoncé une baisse de 2,3 milliards d’euros de son budget d’aide publique au développement pour 2025, avec des perspectives encore plus sombres pour 2026. Les secteurs sociaux — dont l’éducation, pourtant affichée comme prioritaire — seront inévitablement touchés. Et les conséquences seront dévastatrices.
Derrière les coupes, des réalités humaines
Selon l’UNESCO, des pays comme le Tchad ou le Libéria pourraient perdre jusqu’à 50 % de leurs financements éducatifs internationaux. Le Mali et Madagascar : près d’un tiers. Les baisses prévues pour l’Éthiopie, le Rwanda ou la République Démocratique du Congo se chiffrent en dizaines de millions de dollars. Dans certains pays comme la République Centrafricaine ou la Gambie, les financements extérieurs représentent jusqu’à la moitié du budget éducatif national.
Derrière ces chiffres, ce sont des millions d’enfants, de jeunes, et d’adultes – en particulier les plus marginalisés, comme les filles, les personnes handicapées ou les réfugiés – qui verront leur vie brisée par l’arrêt brutal de leur parcours éducatif. L’école et les centres éducatifs sont bien plus que des lieux d’apprentissage : dans de nombreux contextes, ce sont des espaces de protection, d’accès à la nutrition, à la santé, à l’eau, à un avenir. Couper dans l’éducation, c’est détruire ce filet de sécurité fondamental.
L’éducation, sous-priorisée et sous-financée
Alors que les besoins explosent, le financement de l’éducation s’effondre. Il manque aujourd’hui 97 milliards de dollars chaque année pour atteindre l’objectif d’une éducation de qualité pour toutes et tous d’ici 2030 dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
En temps de crise, l’éducation est trop souvent sacrifiée. Elle paie aujourd’hui le plus lourd tribut à la baisse des financements humanitaires : -37 % de fonds, soit davantage que la moyenne des autres secteurs (-30 %), avec pour conséquence une chute alarmante de 43 % du nombre de bénéficiaires, contre seulement 17 % pour les autres grands secteurs (Santé, Eau, Assainissement et Hygiène, Nutrition, Logement, Protection)*. Pourquoi ? Parce que l’éducation n’est pas encore perçue comme un service vital, alors qu’elle est au cœur de la reconstruction et de la résilience des sociétés.
Des réponses dangereuses : la tentation du privé
Plutôt que de corriger ces désengagements publics, les États et les institutions multilatérales se tournent de plus en plus vers des investissements privés, appelant à collaborer avec le secteur privé pour alléger la pression sur les systèmes publics.
Mais cela soulève de nombreuses préoccupations. La privatisation de l’éducation — en particulier dans les contextes de fragilité — accentue les inégalités, affaiblit la qualité de l’enseignement, réduit la transparence, et encourage le désengagement progressif des pouvoirs publics.
Il serait plus judicieux de s’attaquer à l’une des causes majeures de l’asphyxie budgétaire des États du Sud : la dette. Aujourd’hui, la moitié des pays à revenu faible ou intermédiaire inférieur consacrent davantage au remboursement de leur dette qu’à leur système éducatif. Une restructuration de la dette est indispensable pour leur permettre de remplir leurs obligations fondamentales.
Un devoir politique et moral : protéger le droit à l’éducation
Qu’en est-il de l’engagement des États au regard des textes fondateurs comme la Déclaration universelle des droits humains, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention relative aux droits de l’enfant, ou encore l’Agenda 2030 ? Ces textes reconnaissent l’éducation comme un droit humain fondamental, universel et inaliénable. Un service public dont la responsabilité incombe en premier lieu à l’État.
La France doit être à la hauteur de ses valeurs… et de ses engagements
Alors que la France se dit attachée aux droits humains et à un enseignement public de qualité, elle peine à traduire ces principes en actes y compris sur la scène internationale. Elle doit défendre une éducation publique, équitable, inclusive et de qualité, véritable levier de tous les autres Objectifs de développement durable, et outil fondamental de transformation sociale.
Cela suppose un financement ambitieux, pérenne, centré sur les droits et les besoins réels des populations, à commencer par ceux des enfants dans les pays les plus vulnérables.
Parce que sans éducation, il n’y a ni santé, ni égalité y compris de genre, ni paix, ni transition écologique, ni démocratie durable.
*Ce chiffre est basé sur 19 pays qui ont procédé à une redéfinition des priorités et dont les chiffres sont disponibles.