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Billet de blog 6 novembre 2024

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Crier en silence

Et le monde se réveille avec une sérieuse gueule de bois. Recroquevillés sous nos couvertures, les yeux cernés et bouffis, après une nuit à scroller une carte qui n’en finit plus de rougir, on se lève avec un goût âpre dans la bouche. Odeurs de cigarettes sur des dents qu’on ne lavera pas. Cheveux moites collés au visage et mal de crâne, une génération entière se retrouve anéantie, anesthésiée.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

“I don’t FUKING know what to do”. Toujours dans mon lit, le téléphone vibre et me montre le visage déconfit d’Eva, mon amie de Boston. Vingt ans, étudiante, et l’impression que le monde, son monde lui échappe. A quoi bon se lever, aller en cours, et étudier pour se retrouver dans un monde où les enjeux géopolitiques sont décidés par une poignée d’électeurs ?  Brosser ses dents, se lever, et retourner à nos vies en ce matin 6 novembre relève de l’impossible.

“I feel so powerless. I don’t FUCKING know what to do.”

Moi non plus Eva, je ne sais pas.

Alors on se recroqueville, sous une épaisse couche de couvertures. On prie des Dieux sans noms pour prolonger cette nuit de désespoir, rester dans le noir de nos chambres et ne pas voir l’aube qui se lève. Dehors, les voitures roulent, les cafés ouvrent, les passants se pressent dans des rues, et la vie – étrangement – continue.

Ma génération se réveille avec une gueule de bois. On devrait pourtant se sentir forts, remplis de rêves, assoiffés et ambitieux pour notre futur. On devrait crier, célébrer le changement, la victoire d’un jour nouveau. Victoire sur la suprématie des hommes blancs. Victoire sur la haine, le mensonge, et le fascisme. Mais une nuit, toutes nos aspirations au changement se retrouvent en fumée. Alors on retourne à nos lits, pour digérer notre apathie. Seuls, en silence, loin d’une maison blanche qui décidera de nos futurs.

Peur et impuissance. Peur, pour le droit de mes amies, de décider de leur corps. Peur, pour mes amis.es ukrainiens.nes. Peur pour nos démocraties. Peur pour cette putain de planète, que l’on s’amuse à détruire en toute impunité. Peur pour Gaza. S’il te plaît papa, dis-moi que ce n’est qu’un cauchemar.

J’ai envie de crier. D’arrêter les voitures, les passants, les cafés et le cours du jour. De tout casser, de tout foutre en l’air. Mais à la place, je reste seule, assise sur un banc froid, à gratter ces quelques mots. C’est tout ce que je peux faire en ce matin postmoderniste. Mastiquer mes peurs. Crier en silence.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.