Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 1 février 2012

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Nestor rend les armes Clara Dupont-Monod (Wespieser)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans une écriture aux accents élégiaques, Clara Dupont-Monod, évoque dans ce roman le pathétique destin d'un homme venu s'échouer sur des rivages étrangers aux contours mortifères. Au plus près de son personnage, elle tente d'en saisir le mystère, par-delà son énorme carapace de chair. Ecoutons ce chant de la Douleur, cette Complainte d'une grâce sensuelle, psalmodiés en deux grands mouvements symphoniques

Le roman s'ouvre sur les gestes quotidiens de Nestor,- l'imparfait a ici valeur d'habitude-, réveil, petit déjeuner, toilette; habillement, sortie, bus, arrivée à l'hôpital vers neuf heures –où il vient contempler le corps de sa femme Mélina artificiellement maintenue en vie. Chaque mouvement est décomposé avec minutie, tant il est douloureux pour une "masse faite de bourrelets et de plis", mais simultanément il s'inscrit dans une liturgie qui le transcende. Nestor se sent exclu du monde des "vivants", de ceux qui accomplissent avec insouciance des gestes "simples" ces"petites paix auxquelles il n'avait plus accès". "L'embonpoint d'abord, l'inconfort ensuite, et enfin le handicap". Seuls les repas -de la préparation à l'ingestion des aliments- lui procurent un immense plaisir qu'illustre tout un champ lexical emprunté au sacré "protocole, solennité, cérémonie scène spectacle". Mais d'emblée, la délicatesse de l'auteur –à laquelle fera écho celle du docteur Alice – loin de faire contraster la gracilité longiligne d'un phare –seule photo qui orne l'espace clos de la cuisine- et la "monstruosité" d'un corps de "gros père", les met en harmonie, voire osmose. Phare qui tout au long du roman viendra réfracter sa lumière bienveillante, par-delà l'immensité océane. C'est sa photo que contemple Nestor en proie à la lassitude ou à la peur; sentinelle entre deux mondes –la mer et le ciel- il accueille la promesse des gamines Mélina et Maria; sanctuarisé il sera comme le réceptacle des corps incinérés; il prend réellement "corps" dans la deuxième partie (troisième issue) face à la maison de Maria Colazon, restée en Argentine. Il incarne l'évidence de l'immuable, au-delà de "certaines histoires" et malgré "le chaos et l'exil"…

A l'instar d'Alice qui progressivement découvre le passé de Nestor (deuxième partie, deuxième issue) en Argentine, le lecteur découvre peu à peu la personnalité du personnage éponyme. Dans ses monologues intérieurs Nestor oppose souvent l'ici et l'ailleurs, ici la terre d'exil, un "pays qui ferme boutique brusquement" avec l'arrivée de la nuit; là-bas "la nuit appose sa gaze violette contre les montagnes". Les souvenirs qui "s'agencent en miroirs diaboliques", la lecture des papiers classés par sa femme, celle des lettres qu'elle envoyait à Maria, la lecture des cahiers, les longs récits, en une langue hybride qu'écoute Alice au chevet de Nestor, tout va recomposer en les "recollant" les bribes d'une existence; tout comme Alice recolle les débris du verre qui abritait la photo du phare; tout comme Maria "guette des miettes de souvenirs qu'elle met bout à bout"…D'autres effets spéculaires –comme la diffraction de la lumière du phare- illuminent le texte; l'image de cette vache à la queue usée que mordillait la petite Margarita avant de s'endormir et qui accompagne désormais le sommeil de Maria; le double de l'auteur en la personne d'Alice prenant le relais de l'écriture; la boîte fermée métaphore du corps de Nestor et la boîte qui enferme le corps de Margarita; les pétales de la chaise en forme de fleur et les ongles de Maria…

La thématique de la mort est omniprésente. C'est le cauchemar qui, chaque matin, s'impose au réveil de Nestor (rivière qui charrie de grands cercueils remplis de livres); c'est le corps de Margarita –enfermé dans une boîte que Mélina envoie à son amie Maria; ce sont les cendres de Mélina (première issue deuxième partie) précieusement recueillies par le mari pour leur retour en Argentine; c'est le calvaire et l'enterrement de Nestor (deuxième issue deuxième partie).Tous ces corps blessés, fragmentés, souffrants qui s'exposent en lignes de force, attaqués par la mort. Mais déjà le choix de lieux clos –la cuisine, la chambre d'hôpital- insistait sur la froideur et la nudité (à l'hôpital on vit la"disparition des dernières forces")

Rendre les armes n'est-ce pas pour Nestor s'alléger pour mieux disparaître?

Une autre disparition plus subtile, est celle du mot. Nommer c'est désigner, faire exister; sinon c'est le néant; expérience à laquelle est confronté Nestor quand il attend le bus et que la voisine le somme de l'appeler par son prénom "nommez-moi ou je disparais". Il sait aussi que la trahison des mots est pire que celle des hommes; les paroles apaisantes du docteur "n'ayez pas peur. Tout ira bien" à l'instar de celles de Mélina qui promettait un "monde meilleur"après avoir fui la dictature, ne sont  que leurre.

Mais les mots proférés peuvent receler des mystères par leur non-dit. A un moment, Alice étonnée par ses propos, savoure "les secrets tapis derrière les mots"…

N'est-ce pas au final ce qu'éprouve le lecteur après avoir fermé ce livre-écrin?

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