Un homme qui s’invente une vie, un homme qui persiste dans le mensonge après la découverte de son imposture telle serait la face évidente de ce film ; mais l’essentiel serait peut-être ailleurs -quand bien même le plan initial - atmosphère embuée, décor planté pour une « reconstitution » peut se lire comme la métaphore de la « fabrication » du mensonge (?) A l’heure des fake news, des mensonges réitérés en haut lieu (même dans les prétendues démocraties…occidentales..) mensonges relayés abondamment par certains médias, à l’heure des falsifications (ah le recours au storytelling) ce film est le bienvenu!
Voici une énigme à « décortiquer » et l’on comprend que ce qui est « montré » n’est jamais sûr et ce qui est dit l’est trop. La dynamique interne de ce film qui est aussi sa « progression » est à chercher dans les effacements progressifs. (bien plus que dans l’enfermement tenace et habile dans le déni). Le choix de la fiction plus que du documentaire (avec toutefois quelques images d’archives) et le choix de l’acteur (redoutable et remarquable Eduard Fernández) donnent de l'épaisseur au texte, dont les deux cinéastes s’inspirent L’Imposteur de Javier Cercas,
Un défilement où chaque séquence opère tel un masque, où chaque plan serait moins une mise en abyme (un acteur qui interprète un personnage jouant un rôle) qu’une mise en doute (même si çà et là un zoom, un travelling ou des effets spéculaires accentuent la portée du procédé fictionnel). L’affrontement (face à face) entre l’imposteur et le découvreur du mensonge oppose -du moins en apparence - la froideur rigide de l’historien à l’habileté rhétorique du mythomane mais le jeu de l’acteur - Chani Martin non démonstratif- en décuple la perspective. Y contribue également l’attention portée aux détails, aux ombres et lumières indirectes (quand Marco s’éclipse du lit conjugal, -ombre portée alors que le visage de l’épouse est dans la lumière, quand il ne peut affronter les récriminations de sa fille, quand il fait un faux en signature -la pointe acérée de la plume comme outil de propagande, censé effacer la preuve accablante L’étau s’est resserré et pourtant l’imposteur règle encore ses comptes avec l’histoire sans battre sa coulpe…
L’approche ne sera pas morale (moralisante moralisatrice); c’est une interrogation sur la façon dont on utilise l’histoire une mémoire -comment on parvient à la profaner
Un film que je vous recommande
avec Eduard Fernandez, Nathalie Poza, Chani Martin
Présenté à Venise Section Orizzonti
Prix Goya du meilleur acteur pour Eduard Fernandez
Militant anarchiste, Enric Marco fut aussi, entre 2003 et 2005, président de l’Amicale de Mauthausen regroupant les survivants espagnols des camps nazis. Il prétendait avoir été interné au camp de Flossenbürg et témoignait régulièrement de son expérience dans les écoles et autres lieux destinés à conserver et à transmettre la mémoire de la seconde guerre mondiale. Un historien rigoureux et un peu pugnace, Benito Bermejo, découvrit qu’il était, en fait, parti volontairement en Allemagne en 1941 pour y travailler et n’avait jamais été prisonnier dans un camp de concentration. Il fut même découvert qu’il avait tenté de prendre l’identité d’un véritable déporté, authentique résistant, Marco va se battre alors pour maintenir sa version alors que les preuves contre lui s'accumulent
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