Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 2 août 2025

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Les parias roman d'Arnaldur Indridason (Métailié 2024)

"En enchâssant récits souvenirs époques sur fond de journées glaciales, de bourrasques de neige le romancier livre par effets spéculaires une vision de son pays aussi troublante et ambivalente que la personnalité de Konrad"

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Ex policier à la retraite « antihéros détestable à bien des égards, mais fascinant par les blessures qui l’habitent » Konrad sera à la fois enquêteur et sujet d’analyse dans le roman Les parias -la quête de la vérité (trois meurtres non élucidés) se confondant avec la quête de soi. Composé de 64 chapitres –de longueur délibérément inégale et qui n’obéissent pas à un ordre chronologique-, ce roman frappe d’emblée par sa composition son montage, le sens du « suspense » les « rebondissements ». Pénétrant la psyché de son anti-héros le romancier Arnaldur Indridason, se plaît à en épouser toutes les circonvolutions en enchâssant récits souvenirs époques sur fond de journées glaciales, de bourrasques de neige et de blizzard livrant ainsi par effets spéculaires une vision de son pays aussi troublante et ambivalente que la personnalité de Konrad

Le temps est multiple. Il y a le temps de la chronologie, minuté, qui inscrirait les faits dans un apparent « continuum » à décrypter -ce qui n’exclut pas les « chemins de traverse ». Il y a celui de l’Histoire : installation d’une base américaine en Islande après la Seconde Guerre Mondiale (et que le romancier revisite dans presque tous ses textes) la collusion entre soldats et trafiquants corrompus (dont des policiers) ; sort réservé aux homosexuels dans les années 60 et que résume si bien Junius, qui fut l’apprenti d’Haraldur « sentiments incandescents étouffés sans pitié, mais qui nous submergeaient ; ces choses-là se passaient dans la plus stricte intimité elles n’en sont jamais sorties ». Il y a le temps de l’intime qui parfois se confond avec celui de la « montre » qu’il faut « mettre à l’heure » celui du parcmètre, une forme de « chrono » qui aide à « remonter » vers le passé (souvenirs impulsés par un détail, rappel sous forme de bilan conclusif des « progrès » dans les trois enquêtes menées de front ; apparemment « séparées » elles n’en entretiennent pas moins des connexions que découvrira Konrad). Ainsi l’enchâssement récits et dialogues, souvenirs et instants présents, investigations et commentaires, analepses et prolepses transforme le scénario en un montage de poupées gigogne. L’entrelacs de trois « affaires » avec sa profusion de personnages, ses chausse-trappes- va entraîner le lecteur parfois désappointé jusqu’à une forme de « résolution » (mais qui n’est pas celle attendue …du moins en ce qui concerne l’assassinat du père …

Konrad a 9 ans (1953) ; et en ce jour anniversaire il reçoit un « cadeau » de sa mère alors que Seppi, son père, a oublié la date (ses parents sont séparés)  ; un père qui le tance sévèrement, lui reprochant de « poser des questions idiotes ; c’est le chapitre d’ouverture. Puis Arnaldur Indridason transporte son lecteur en Arizona (chapitre 2) : un homme sentant sa mort prochaine est décidé à confier à son compagnon tant aimé, Ray, un lourd secret ; son identité ne sera révélée que vers la fin ainsi que les détails de ce « secret » trop longtemps enfoui -si précieux pour l’enquêteur …et en montage parallèle, (chapitre 3) nous voici aux côtés d’une octogénaire qui apporte au commissariat (Islande) une arme, un Luger un pistolet de la Wehrmacht, ( ?) arme découverte dans les « affaires » de son mari défunt. Et c’est précisément cette « arme » qui « enclenche » le « récit » Konrad veut en pénétrer le « mystère » (officieusement il reprend l’enquête sur le meurtre d’un jeune homme assassiné en 1955 avec cette arme, mais aussi celle sur la disparition d’un autre jeune homme, -le prétendu « coupable » aurait avoué sous la contrainte …et enfin sur l’assassinat jamais élucidé de son père en 1963 près des abattoirs de la capitale islandaise. Rétrospectivement le lecteur sera à même de « comprendre » les enjeux de ces tout premiers chapitres….-

Au cours du récit Konrad (re)plonge dans le passé douloureux de son pays où sévissait la pauvreté, où lui-même fut complice d’un trafic d’alcool,(écoulé depuis la base américaine) connut l’argent facile -qui lui permit de construire une maison, avec l’épouse tant aimée Erna. Mais découvrant l’injustice notoire - condamnation des homosexuels impunité pour des notables pédophiles, le voici transformé en « justicier » armé ou corseté de principes ceux qui président à ces questionnements sur la transmission : un pays peut-il s’acquitter en échappant aux fantômes de tous ceux qu’il a tués par intolérance (la scène finale de l’excavation est très « symbolique » ou métaphorique) ; un individu est-il condamné à la « corruption » quand il fut élevé par un père « malhonnête » (Konrad devenu père, souffre du silence de son fils Hugo …)

De la visite à la prison -rencontre avec Gustaf prisonnier criminel redoutable, à celle de Junius dans sa boutique de tailleur en passant par les appels d’Eyglo (la « spirite ») ou de Beta (sa sœur victime collatérale de la vengeance de Gustaf) vilipendé par Léo (policier corrompu) Rikki ou la commissaire Marta, Konrad 75 ans en cette année 2019 a encore la force de l’électron libre, braver interdits et tout ce qui entrave ses démarches quand bien même il « patine » à l’instar de sa jeep … Konrad et sa prédilection pour les « cold cases »

Il recueille un soir (ou peut-être une nuit) afin de leur soutirer des aveux …deux vieilles soulardes; attifées l’une d’une doudoune, l’autre d’une combinaison de ski ; elles palabrent, clopant et sirotant ; Arora-fille de Nikulas (policier plus que véreux) et Roberta fille de Gottled (dit la Sucette) elles sont là comme sorties d’une toile de Goya  et Konrad voit dans le bout de cigarette incandescent leur seule lueur d’espoir en ce monde…

 (Traduit de l’islandais par Éric Boury 2024)

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