avec Mai Davika Hoorne, Witsarut Himmarat, Apasiri Nitibhon
Grand prix de la Semaine de la critique Cannes 2025
Après la mort tragique de Nat, victime de pollution à la poussière, March sombre dans le deuil. Mais son quotidien bascule lorsqu'il découvre que l'esprit de sa femme s'est réincarné dans un aspirateur. Bien qu'absurde, leur lien renaît, plus fort que jamais — mais loin de faire l'unanimité. Sa famille, déjà hantée par un ancien accident d'ouvrier, rejette cette relation surnaturelle. Tentant de les convaincre de leur amour, Nat se propose de nettoyer l'usine pour prouver qu'elle est un fantôme utile, quitte à faire le ménage parmi les âmes errantes..
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Inspiré d’un conte folklorique thaïlandais ce premier long métrage de Ratchapoom Boonbunchachoke ne peut laisser indifférent. Certes la thématique (contenue dans son titre explicite) n’est pas novatrice ainsi que le pouvoir (maléfique ou non) d’objets du quotidien (on pense bien évidemment au pneu télépathe Rubber de Quentin Dupieux) Mais ici la construction en gigogne avec enchâssement de récits (celui du "réparateur" au tout début, qui deviendra l’intrigue principale) la coexistence des temporalités, (audacieuse simultanéité !) la charge à la fois mémorielle (cf les événements tragiques du samedi noir de Bangkok en avril 2010) contestataire et politique, le burlesque, une forme de lenteur (celle des plans fixes prolongés, celle du débit des locuteurs), et le mélange des genres (queer entre autres ) en font un film singulier, à la narration insolite, une fable truffée de métaphores (cf les grains de poussière qui au début tombent sur la ville, "poussière" de la pollution urbaine et économique mais, telles des particules fantomatiques ces grains métaphorisent aussi la porosité entre les mondes visible et invisible ; l’appareil ménager qui aspire l’air lequel ramasse la poussière peut aussi donner souffle (anima) aux disparus, et métaphoriser cette "aspiration" de l’Histoire par les détenteurs de pouvoir …)
Séduit, le public n’en déplorera pas moins le didactisme parfois trop appuyé (dans le deuxième mouvement) Et si la comparaison avec les devanciers (et surtout l’aîné Apichatpong Weerasethakul Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures 2010 ne plaide pas en faveur de Ratchapoom Boonbunchachoke, acceptons ce dépaysement tous azimuts,, cette plongée dans un univers à la fois loufoque (barré) et protestataire et qui renvoie tant à la « réincarnation bouddhiste qu’à la spectralité en général »
« Revenir est un acte de protestation », affirme un personnage ressuscité des limbes de l’histoire… vilipendant ceux qui déplorent que les jeunes ruminent plus le passé que les vieux conservateurs …
Voici en gros plan un visage, aux contours bien nets, or il va disparaître dans le flou de l’arrière-plan… « aspiration » de la mémoire et du passé ?
Oui les fantômes sont utiles, ils empêchent l'aspiration vers l’amnésie…Encore faut-il apprendre à se souvenir
Colette Lallement-Duchoze
La Thaïlande est un pays rempli de fantômes, car de nombreux décès ne sont pas officiellement clos, avec plusieurs meurtres non élucidés et des disparitions forcées. Je pense que les artistes en général, et les cinéastes en particulier, sont les alliés des fantômes. Nous mettons notre expertise, nos instruments et nos compétences à leur service, pour donner forme à leurs paroles. Alors que les fantômes sont généralement difficiles à percevoir de façon directe, le cinéma est le moyen idéal pour leur donner une forme. (propos du cinéaste)