Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 8 novembre 2011

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La France tranquille Olivier Bordaçarre (Editions Fayard noir)

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Le titre délicieusement antiphrastique, la dénonciation du "capitalisme sécuritaire", et surtout l'épaisseur des personnages avec leurs douleurs, leurs fantasmes et leurs pulsions, font de "La France tranquille" -troisième volet d'une trilogie commencée avec "Géométrie variable"- un roman politique. Et Nogent-les-Chartreux ville de province apparemment "calme et anonyme", devient le microcosme d'une "France en dépression". Si le meurtre est un "prétexte", il permet à l'auteur, d'un point de vue littéraire, de construire un récit qui allie réalisme, suspense, progression dramatique et variation des points de vue.

Une scène digne du roman noir ouvre le roman: dans un décor de fin du monde, une ancienne piscine, à 2h du matin, un homme ex chasseur de lézards s'apprête à tuer sa proie -une jeune femme ligotée-, par injection d'acide chlorhydrique; sa besogne sera méthodique, ponctuée de paroles haineuses, mais une détonation....suspend la trajectoire (cette séquence liminaire sera "revisitée" vers la fin du roman par une tierce personne, Grégory)...Débute le récit qui suit un ordre chronologique; chaque chapitre étant annoncé par une date précise, du 1er septembre à fin novembre. Récit scandé par la succession des meurtres -le lecteur assiste "en direct" à celui de Rémy Giacomet-, la recherche des indices et leur interprétation-que signifie la signature SUGET numérotée? - et parallèlement par la montée de la peur "arme de division massive"- son exploitation à des fins électoralistes ou sociales -une bonne raison de faire prévaloir l'intérêt général sur les contestations salariales; peur telle que Nogent sera vite "barricadé, au propre comme au figuré". Récit entrecoupé par les monologues de Mathieu, dont les énormes difficultés d'expression et d'élocution -mots estropiés, syntaxe défaillante, borborygmes, silences- sont les séquelles d'une "agression sauvage" qui l'a cloué à jamais dans un fauteuil électrique; Mathieu dit sa douleur, ses pleurs, sa révolte aussi contre ses agresseurs et contre le père; le lecteur devinera assez vite qu'il est le fils du tueur.. Dans la narration domine l'imparfait mais ce temps verbal peut laisser place à un futur immédiat et quelques paragraphes -au présent dit gnomique -sont comme les incursions du narrateur/auteur qui dénonce les méfaits d'une politique ultra sécuritaire sur les consciences et les comportements. Le temps, au moment du dénouement, -soit après la découverte du meurtrier- se confond presque avec le temps de l'écriture; il est chronométré de 5h54 à 7h51: ce resserrement de la durée est typique des romans et films policiers, quand chaque minute, chaque seconde vers la vie (ou la mort?) est si précieuse!!

Certains protagonistes sont individualisés, repérables à leur patronyme et leur fonction -commerçants, autorités politiques, gens de la brigade sous le commandement de Paul Garand. Et l'auteur en multipliant les dialogues, multiplie aussi les procédés d'écriture adaptés à chaque personnage: vocabulaire argotique, gallicismes, syntaxe approximative, pour certains, formules stéréotypées et rhétorique convenue dans le discours du préfet ou du maire; franglais branché de Grégory, les paroles prononcées au téléphone -Nadine à son ex mari Garand par exemple, sont mises en italique. Quant aux habitants de Nogent-les-Chartreux, ils sont relégués, massifiés dans l'anonymat -ce dont rend compte l'emploi du pronom "on" -; c'est que la panique est "collective"; parfois des voix sans visage vont s'exprimer mais c'est une succession de formules clichés...Tout cela permet à l'auteur de donner une vue d'ensemble tout en privilégiant le détail à hauteur d'individu et de faire de Nogent un véritable personnage qui respire, éructe, crie, dégouline de peur...Nogent s'arme, Nogent pratique la délation, Nogent se replie sur elle-même...

Comme dans "Régime sec" le précédent roman d'Olivier Bordaçarre, le texte est traversé de trouées lumineuses. C'est la force explosive de l'amour, la force vive de la musique. Grégory le fils de Paul Garand visite d'autres cieux en contemplant les étoiles avec sa lunette astronomique; Elise, sa compagne, venue de Grenoble, rêve de libérer les désirs enfouis en chacun de nous, désirs "refrénés par les conventions de la société" certes, mais si vivants ...Le commandant Garand, décrié par les siens, est un des rares à Nogent à ne pas céder aux cris des Cassandre; à refuser la solidarité des "hyènes", états d'âme qu'il confie à son ex épouse chaque jour au téléphone, Nadine; laquelle venue à son chevet - alors qu'il est dans le coma- susurre son amour en un élan oblatif, après un monologue intérieur d'une seule et longue phrase: "Je t'aime, Paul".

Le roman s'ouvre sur une séquence d'horreur, il se clôt sur une scène idyllique, tel un épilogue en forme de rêve édénique qui par-delà les contingences, fera accéder Paul et Nadine "à la belle et libre simplicité".

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