Il aimait la musique Telle serait l’oraison funèbre dictée par Erik Satie lui-même à John Cage, à l’instant précis où il va s’effacer pour toujours…: Oraison funèbre imaginée par Patrick Roegiers dans la finale/apothéose de son roman Satie. Un roman qui tout en s’appuyant sur du factuel vérifiable fait voler en éclats les codes du biopic traditionnel et par-delà l’apparente linéarité (de la naissance à la mort) ceux de la « sacro-sainte » chronologie. Procédant par « association » recourant à la « variation » comblant les « pauses » par des accumulations (ou non) aphoristiques, jouant avec les ressources du langage (onomatopées, jeux de mots), le romancier à l’écoute de son monde autant sonore que visuel et tactile exalte avec fantaisie la personnalité -complexe car méconnue -du compositeur et il invite le lecteur à ériger en « valses lentes » un Tombeau (dans le sillage de Mallarmé ?)
Les aspects purement biographiques qui ouvrent le roman seront repris en échos telles des variations : la grand-mère Eulalie, le frère Conrad, le sentiment douloureux de la « solitude », la conscience aigüe du temps, la synesthésie entre différents arts. Et les « reprises » -comme dans l’œuvre de Satie- ne seront pas des « redites » - le parapluie, le blanc, la syllogomanie, le « placard », les crapulos, les indications/annotations destinées à l’interprète- il suffirait d’en analyser une ou deux à différents moments du récit pour s’en convaincre !!!
Quand avec le romancier nous pénétrons les « arcanes » de la création, s’imposent cardinale la loi mathématique, une prédilection pour le chiffre 3, et se règlent en « accords » -par la « magie » de l’inversion -ou de l’emmêlement- les « désaccords » subis au quotidien. Une vie de misère, une vie d’indigence, une vie de solitaire alcoolisé ; une musique « blanche, incolore répétitive » une musique qui serait « le silence qui parle » Dissonances sans discordances. Et alors que Stravinsky, Poulenc, Debussy « inventent la musique dite moderne » Satie qui les a côtoyés, sera, restera un « anti dans ce monde de nantis » Et c’est bien cette « originalité » que restitue Patrick Roegiers. Il n’a jamais caché son amour « inconditionnel » pour ce compositeur (les mélopées suspendues, atones et mélancoliques m'émeuvent au-delà de tout) On a parfois l’impression que le romancier s’est approprié les « conseils » destinés aux interprètes (aux antipodes d’ailleurs de ceux prodigués par Debussy) (Satie soufflait ses indications dans l’oreille ; il se tenait à ses côtés, derrière son épaule, dans sa tête, au bout de ses doigts ») ou du moins que par un effet de fondu enchaîné, écrivain et pianiste se confondent – comme « animés » du même souffle
Des épisodes au rendu truculent resteront en mémoire : la première de Parade 1917 (en écho celle de Relâche 1924 encore plus provocatrice). Succès à scandale. Public divisé, critique acerbe, Opposée aux brumes et brouillards debussystes propagés par touches diluées, sa musique opérait avec une précision mécanique dont il avait toujours rêvé…Choquée tant par la modernité picturale (Picasso) chorégraphique (Diaghilev) et musicale (Satie) et les interventions bruitistes intempestives, la salle criait au scandale [...] Pitrerie picassoterie satiesotterie
L’œuvre inspirée par son unique amour (Suzanne Valadon) Vexations (un motif musical de 1 à 2 minutes conçu en 1893 à répéter 840 fois) va jouer dans le roman de Patrick Roegiers le rôle d’ouverture, au sens symbolique, en écho à l’ouverture du roman. Entre en scène John Cage (que d’accointances avec Satie !) ; en 1963 il interprétera ce marathon musical avec 10 pianistes se relayant toutes les demi-heures…
Et pour les ultima verba Patrick Roegiers convoque -d’abord dans la chambre minuscule puis à l’hôpital et enfin au cimetière d’Arcueil- les amis morts ou vivants, les connus et les inconnus : peintres (dont Hockney,) musiciens (dont Cage et Glass), poètes, dadaïstes chorégraphes (dont Pina Bausch et Merce Cunningham) les villageois d’Arcueil, la famille (mère grand-mère et sœurs) Suzanne Valadon et son fils Utrillo –
Dialogues et gestes imaginaires dans cette suprême théorie de la Vie à laquelle ne sont pas conviés les adversaires de toujours Barthes Breton Boulez
Ô ce thrène des temps modernes tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change
Séquences ultimes aux allures de Parade ?
Dans le ballet frémissant des voix chères qui se sont tues ….