Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 13 octobre 2015

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Papy Boum

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comment "survivre" quand on est dans le dénuement total? Qu'on vient d'être dépossédé de tout? Qu'on est sans travail, sans domicile, sans ressources financières; et que les plus proches vous méprisent? Destination la rue... à moins que ! C'est précisément le cas de Léonard Bornstein, le "héros" du roman de Ramdane Issaad «Papy Boum», un ouvrier contremaitre, licencié et en fin de droits, "inéligible pour la retraite", confronté à l'absurdité d'un système "pas d'indemnités versées, pas d'argent pour la caution, pas de location possible, pas d'adresse légale, donc pas d'indemnités et ainsi de suite jusqu'au vertige". Et puisqu'il n'a plus rien à perdre mais tout à gagner, il va se lancer tel l'ange exterminateur, tel le justicier de l'apocalypse, dans une guerre contre les "assassins en col blanc assurés de leur impunité".

À 57 ans il retrouve la pensée sauvage de ses 18 ans il est prêt à en découdre jusqu'à la mort. Au lieu d'abdiquer, persuadé d'être dans la voie des justes, élu du ciel, lui le travailleur en révolte, épris de justice, il se donne pour mission de "chasser la pourriture qui gangrène la civilisation"; la lecture de Cioran lui est précieuse, et la colère sourde, sa meilleure alliée. Nous allons ainsi le suivre de Varsovie à Gstaad, de Lyon à Marseille Nice et l'Italie du Nord. Nous empruntons ses moyens de locomotion : voiture train fourgon moto. Nous partageons ses nuits à la belle étoile ou dans des hôtels de luxe. Nous assistons à tous les préparatifs, médusés par tant de savoir-faire et de détermination. Les détails -lister le matériel, repérer les lieux, parer à d'éventuels contretemps, anticiper, analyser tous les risques et ne rien laisser au hasard- évoqués en de longs paragraphes, frappent par leur précision technique et simultanément au moment du "passage à l'acte" le temps se resserre tout en se distendant: car il est chronométré, décomposé en minutes voire secondes. Les déguisements vestimentaires et les changements d'identité font partie aussi de la panoplie -surtout ne pas donner le change (trop de caméras de surveillance, trop de badauds...) Il faut imaginer le personnage affublé d'une perruque blond cendré, claudiquant, et/ou bedonnant, avec lunettes simulant la cécité. Rappelons que suite à une intervention de chirurgie esthétique, le balafré du début (cicatrice due à un accident du travail) sera comme réconcilié avec un physique plus présentable (un écho au stage de relooking proposé par Pôle Emploi et auquel il n'avait pas assisté?); mais seule Olga l'aimable aimante putain de luxe aura deviné!

L'auteur adopte le point de vue de son personnage; ainsi, dans ce récit à la troisième personne, le recours au style indirect libre à valeur de monologue intérieur permet d'approcher Léo au plus près et de connaître ses états d'âme; le vocabulaire employé a parfois, par sa truculence, des échos à la Genet; le travail sur  le "son" s'inscrit aussi dans les choix  du romancier, car "l'allitération et le  jeu rythmique des toniques induisent  un son intérieur (un freinage auto, des gravillons sous le pied, par exemple). Tout cela afin de rendre palpable la complexité d'un personnage tant dans sa matérialité quasi organique que dans les tréfonds de sa pensée  : Léonard  est plein d'effervescence (il se sent comme un volcan prêt à exploser et s'identifie au "héros"  du roman de Malcolm Lowry) mais aussi écœuré jusqu'à en vomir (quand il y a des effets collatéraux sur des malheureux ou des innocents); une rage folle l'habite et simultanément un besoin irrépressible d'être aimé (que satisfera d'ailleurs Olga); quand il se vautre dans le luxe, il est en proie au doute ou sous les effets lénifiants de la drogue il en vient à remettre en cause son projet dont il ne comprend plus la légitimité; mais l'honneur perdu de sa compagne Olga va le galvaniser pour un acte ultime (qui aura d'ailleurs de redoutables conséquences diplomatiques). Chacun de ses actes (entre autres, éliminer des personnes "haut placées" bénéficiant d'une impunité révoltante) il les signe GARE -acronyme pour groupe autonome révolutionnaire d'éradication; or la presse jamais ne le mentionnera. La médiasphère était si bien verrouillée que même l'assassinat du président aurait pu être maquillé en accident, ou tout au moins comme le résultat de l'acte isolé d'un déséquilibré[...] tout était sous contrôle dans le meilleur des mondes alors comment un homme seul aurait-il été en mesure de changer la donne? Mais de toute façon, le lecteur était prévenu dès le début d'un éventuel échec, par l'exergue emprunté à Lao Tzeu "celui qui veut manier la hache à la place du charpentier en vient rarement à bout sans se blesser la main"

Le titre Papy Boum est bien sûr un clin d'œil ironique à "Baby Boom" et "Papy Boom" (car les quinquagénaires seront rejetés par le marché du travail du XXI° siècle (cf la quatrième de couverture).

Mais c'est Olga qui invente ce pseudo "Papy Boum. Comme boum, l'explosion ça te va bien non?"

Papy Boum de Ramdane Issaad (éditions du net)

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