Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 13 décembre 2024

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La disparition d'Hervé Snout Olivier Bordaçarre (Denoël)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Abandon, fuite. Absence, effacement, amenuisement, anéantissement, la « disparition » motif et procédé littéraire, Olivier Bordaçarre l’exploite avec originalité dans « La disparition d’Hervé Snout » (la page de couverture joue d’ailleurs avec la disparition progressive des lettres des nom et prénom). Un traitement en « filiation » avec l’œuvre de Georges Perec auquel il rend un hommage assez inédit (voir en fin d’ouvrage la page de remerciements et la liste des œuvres). Le découpage narratif, l’éclatement de la chronologie, la multiplicité des points de vue, le mélange d’humour noir de parodie de réalisme cru et de tragédie, contribuent (il s’agit d’un autre « découpage ») à stigmatiser la cruauté de « bouchers »-dans l’acception la plus cruelle du terme… 

Le récit (année 2024) est encadré par un prologue (année 2004) et un épilogue (2024 2025; dans la tradition romanesque classique). Chacun des chapitres (des 4 parties) a pour titre un lieu précis (cuisine, chambre, gendarmerie, section d’abattage, salle de musculation, bar du Kahoua, bureau, etc.) une date et une heure précises, ainsi que  la référence minutée au jour de la disparition…Comme s’il y avait un avant et un après…. Chaque chapitre se présente ainsi comme une barquette bien étiquetée à l’éloquente traçabilité, (le disparu était directeur de l’abattoir) mise à la disposition du consommateur (cf l’octogénaire Mme Grifalconi) et du lecteur entraîné malgré lui dans le bourbier d’une « macabre » boucherie… 

Un récit à la 3ème personne dans lequel Olivier Bordaçarre multiplie les procédés d'écriture adaptés à chaque protagoniste (et ils sont nombreux) -choix du vocabulaire tournures de phrases, en complément d’une gestuelle précise-, quand il n’a pas recours au style indirect libre. Après une description sommaire aux traits souvent incisifs, -le personnage est vu de l’extérieur-, après l’évocation souvent détaillée de son « milieu» --le personnage est in situ- il nous fait pénétrer dans ses pensées. Parfois le même incident ou événement est repris mais dans un contexte différent, ou interprété selon des points de vue différents. Il invite ainsi son lecteur à déambuler dans un univers (microcosme d’une France déboussolée ?  Cohabitation  sauvagerie et rendement ?) où l’abondance de détails -propres au modus vivendi : vêtements mobilier alimentation occupations loisirs idéologie, ou au métier - va nous faire « connaître » d’abord de manière indirecte celui dont on parle alors qu’il n’est plus là (en I) puis de façon directe (en II grâce aux flash-back) dans l’exercice même de ses fonctions de patron cruel inhumain, et/ou de piètre père et époux. Et d’un point de vue purement narratif et dramatique (action) les deux personnages du prologue Gustave (l’enfant dévasté par de sordides sévices), accueilli par Nadine et Alain, et Gabin le fils, vont incarner deux tendances et contribuer à un renversement, un retournement de situation… 

Voilà donc des tableautins ou des vignettes articulé.es autour de quelques gestes et répliques (les affreux pieds nickelés de la musculation, le duo Malassi Obrisky par exemple) ou même d’une observation amusée (l’absence de culotte d’Odile la goutte de sperme sur sa cuisse) d’un « aboli bibelot d’inanité sonore » d’une parodie d’interrogatoire, d’une description froide glaçante – celle des derniers instants du porcelet FR35ABC 501215 ou de la vache « étourdie » avec un matador. Parfois des postures des grognements des borborygmes rendent la frontière bien poreuse entre les règnes animal et prétendu humain… Gus perçoit dans les larmes de la vache à abattre l’écho des tortures qu’il subissait enfant. Et lors de castagnes « mémorables » le vocabulaire employé convient à celui de l’abattoir : massacre, carnage ; « tu seras un tueur mon fils » avait proclamé le père Hervé Snout à Eddy… Avant qu’à l’abattoir les deux sangs -humain et animal- ne se confondent (mais ne pas spoiler) 

Plaidoyer en faveur de la cause animale ? Certes et la citation de Paul McCartney « si les abattoirs avaient des murs en verre, tout le monde serait végétarien » semble corroborer ce constat. Toutefois le roman se prête à une lecture plurielle (famille, éducation, pouvoir, sexualité). Il laisse sourdre (avec un art du suspense) les frustrations de chacun qui révèle ses « vrais désirs » -ou ce qu’il imagine comme tels- ; le destin de certains étant déjà tacitement « tracé » alors que des morts prématurées ont le goût amer de l’inaccompli

La disparition ? Une affaire classée ?

En écho à la scène inaugurale (2004) où l’enfant Gus savourait les « premières fois », où avec Gab il s’adonnait à la pêche, répond celle qui clôt l’épilogue (2025) une scène champêtre où les deux adultes sont « reliés à l’eau par un fil de nylon, environnés de silence, de pépiements d’oiseaux, d’odeurs d’écorce humide. Pas de tohu-bohu simplement les murmures »

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