Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 16 juin 2025

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Mater dolorosa roman de Jurica Pavičić (Aguillo Editions)

"Mater dolorosa mère de toutes les mères, une mère qui souffre comme chacune des femmes ici » (cf l’exergue et 4ème de couverture)

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Traduit du croate par Olivier Lannuzel

Dans ce roman composé de sept parties où alternent les voix d’Inès de Katja et de Zvone (la sœur et la mère de Mario et le policier qui enquête), dans ce roman choral (forme narrative qu’affectionne le romancier -cf L’eau rouge-) l’auteur, tout en maintenant le fil rouge d’une combustion lente, privilégie les relations entre les personnages, l’impact du meurtre d’une jeune fille de 17 ans sur trois destins. Et à travers les intrications politiques et éthiques, c’est la société croate à peine sortie de la guerre, gangrenée par l’argent facile et la corruption qui est mise à nu. Un polar politique au titre mélancolique (ou ironique ?) « Mater dolorosa mère de toutes les mères, une mère qui souffre comme chacune des femmes ici » (cf l’exergue et 4ème de couverture)

La toute première partie 0, pensée intérieure qui habite Inès, ou flash-back -souvenir rapporté à l’imparfait et au présent dit de narration-, qui d’ailleurs trouvera son écho (souvenir de la mère), sert en fait de « matrice » à la problématique : liens du sang vs droit, traditions vs justice. En effet le sourire de Mario enfant, la peur de le perdre ont fait de lui l’être le plus cher le plus adorable… Pour le lecteur cette partie -prolégomène- a une fonction narrative et dramatique mêlée : il devine le coupable bien avant les faits rapportés, culpabilité qui tout au long du roman, ne sera jamais perçue comme telle par l’intéressé, tant Mario l’indifférent l’indolent l’apathique semble habiter un autre univers - entendons il est étranger aux règles qui régissent la « vie en société ».

Le passage d’une partie à l’autre (il y en aura 6 de moins en moins longues) est dicté par un fait majeur, à la fois dans l’avancée de l’enquête et dans la psychologie de la sœur de la mère, mais aussi du policier ; au final s’imposera une « fausse » connivence entre les deux femmes, voulue par le grand-père Mate. Alors que le policier -persuadé que son supérieur Tomas, féru des méthodes soviétiques fait fausse route-, sera tenté par l’homicide (un beau plan de découpe : Mario surplombant le « vide » et Zvone le poussant… tentation vite réprimée par cette conviction (tu n’as pas ça en toi)). Et c’est ici qu’éclate la différence quasi ontologique l’opposant à son père invalide. Différence générationnelle et politique -mais qui ne plaide pas pour autant en faveur du post communisme.

On a l’impression que les indices (le pull survêtement découvert sur écran tv lors de la fête anniversaire chez les grands-parents et la voiture maculée) importent peu ou du moins que l’essentiel se porte sur la façon dont les événements -le meurtre- influent sur la psyché de la mère et de la sœur (du coupable). La mère dès le lendemain (chap partie 2 se débarrasse du sac) alors que la sœur ayant reconnu son frère sur une photo (qui circule sur des réseaux sociaux) appréhende une éventuelle arrestation. C’est le grand-père qui énoncera le mieux (quand la police aura arrêté un « faux coupable idéal ») les arguments en faveur du silence (avouer c’est non seulement condamner le frère mais toute la famille, d’un point de vue moral (opprobre) et social (perte d’emploi)). Ainsi dans cette lutte politique qui oppose le droit et les principes liés au sang et à l’honneur, ce sont ces derniers qui triomphent. Il est des passages à la limite du supportable (l’ex prof Males accusé à tort mais au passé tel que dans l’imaginaire de la population il est le coupable idéal ; n’avait-il pas violé une jeune fille ?) les effets collatéraux -l’interrogatoire corsé torturant de sa compagne Mirjana, les propos comminatoires, et le suicide (?)- illustrent le pouvoir d’une justice immanente quand le droit piétine ; ou la furie d’une population réclamant « justice » mais… avec l’aval du pouvoir…

Les séquelles de la guerre président aussi à certaines descriptions -contrastes, coexistence de strates, prégnance de ruines comme autant de vestiges du vivant (l’usine désaffectée, l’appartement occupé par la mère et ses deux enfants (Inès a 26 ans) ou celui occupé par Zvone et son père handicapé sont marqués par des stratifications). L’auteur promène un regard désabusé sur ses compatriotes : voici des nostalgiques d’une société communiste (Tomas) voici des plus jeunes habités par le rêve d’un ailleurs (que concrétisera au final Inès, certes pour d’autres raisons…). Et la ville de Split, ville natale de l’auteur, devient un personnage à part entière ; ville où cohabitent palaces pour touristes, bondés pendant la période estivale, barres d’immeubles grisâtres, vestiges ruines d’un passé relativement récent.

Le titre ? S’il fait référence à Notre Dame des 7 Douleurs, à cette Mater qu’implore Katja, convaincue que sa prière sera entendue, voire exaucée par empathie, l’audacieuse comparaison (fils crucifié et pietà) prouverait la prégnance de la religiosité -plus que de la religion à moins que ce titre ne soit tout simplement ironique (l’auteur fait plus qu’égratigner liturgie, croyances incarnées autant par le curé que par la sœur, et leur christianisme de pacotille).

Et si les trois personnages en friches eux-mêmes, tentaient tout simplement de « survivre » avec leurs questionnements, leurs choix et silences coupables… humains trop humains… ???


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