Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 16 novembre 2016

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Le client, d'Asghar Farhadi (Iran)

Je me garderai bien de me prononcer sur la «morale» de ce film, tant les critères du spectateur obéissent à des schémas culturels conscients ou inconscients - certainement très éloignés de la culture iranienne. En revanche on peut être séduit (sinon vivement intéressé) par le scénario et la façon de filmer de Farhadi (encore que des symboles nous échapperont).

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Film de Asghar Farhadi (Iran)  avec Shahab Hosseini, Taraneh Alidoosti, Babak Karimi. Prix du meilleur scénario et prix d'interprétation masculine, Cannes 2016.

Je me garderai bien de me prononcer sur la «morale» de ce film, tant les critères du spectateur obéissent à des schémas culturels conscients ou inconscients - certainement très éloignés de la culture iranienne. En revanche on peut être séduit (sinon vivement intéressé) par le scénario et la façon de filmer de Farhadi (encore que des symboles  nous échapperont).

Tout d'abord les jeux de mise en abyme . Dans le film, les deux personnages sont aussi acteurs (amateurs), on assiste aux répétitions: Emad est Willy, Rana est Linda dans  la  pièce d'Arthur Miller , Mort d'un commis voyageur. Si le procédé n'est pas en soi original, l'imbrication entre le vécu des personnages dans la capitale iranienne et le texte théâtral est ici très patente (déboires du couple dans le quotidien et complexité des relations humaines dans la pièce; mort d'un idéal dans les deux cas; ainsi la réalité filmée et la fiction théâtralisée s'appellent en se répondant)

Les fissures de l'immeuble (première séquence) trouvent un écho dans les lézardes du couple (suite à son agression Rana  refuse de porter plainte, elle est même tentée par le pardon, alors que  son mari jusque-là assez calme, se fait "justicier" et met tout en oeuvre  pour identifier l'agresseur et le "punir"  )

Comme dans "Une séparation" l'engrenage et l'enfermement sont illustrés par le jeu incessant des cloisonnements (parois portes passages)

Le bandage qui cache les cheveux de Rana après l'agression : simple précaution médicale? ou succédané du foulard? (dans le sens où il permettrait de contourner les règles imposées par le ministère de l'orientation islamique)

Le rythme souvent trépidant va s'alentir vers la fin avec d'une part la confrontation avec le "client" enfin identifié et d'autre part la scène finale de la pièce de théâtre: celle-ci obéit à une liturgie telle qu'elle laisse le public comme tétanisé par l'émotion (public composé essentiellement par les élèves d'Emad en un saisissant panoramique alors que le cercueil où gît Willy/Emad est nimbé de lumière)

 Une trame globale limpide, malgré ellipses et rebondissements (dans la "traque" du  fameux "client"!!!) des qualités formelles indéniables et cette façon de filmer si particulière à laquelle Fahradi nous avait habitués depuis "Une séparation",  tout cela est en parfaite adéquation avec le  questionnement sur les valeurs ancestrales de la société iranienne et la peinture sans complaisance de ses travers! 

Le dernier plan sur les visages des deux acteurs qui se griment montre que le couple désuni dans la vie, peut "survivre" . Mais .... ne s'agit-il pas d'un simulacre de dénouement puisque  rien n'est résolu? Dénouement comme prologue d'un autre film???

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