Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 17 octobre 2012

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L'averse Fabienne Jacob (Gallimard)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Question comme préalable:  qui préside au choix des libraires, à celui des journalistes patentés, à celui des membres d'un jury?? qui aura lu de A à Z "les" romans sélectionnés pour tel ou tel prix?? qui ne se contente pas de "déchiffrer" mais s'intéresse à "l'être du langage"??

Ce roman de Fabienne Jacob "l'averse" n'a pas les retombées médiatiques attendues et pourtant que de qualités!!!

Sa composition: musicale -une ouverture qui contient le "tout" et des séquences plus ou moins longues qui reprennent en les amplifiant tous les "thèmes" annoncés: la dualité (ombre et lumière; les deux pays; l'ambiguïté d'un Algérien qui a choisi le camp de l'occupant); la guerre; l'éveil des sens; Tahar et les femmes; le secret; les pouvoirs quasi magiques des mots -langue des amants- ou destructeurs -néologismes racistes de Hodeguit. Musicale aussi par le jeu des "échos" (reprise de passages avec légères variations: la scène où l'on voit la mère de Tahar "dans le ventre noir de la maison tenant un saladier"; celle de la grand-mère qui "inhale" la nuque de son petit-fils; les obsessions du beau-père et ses pommes de terre...par exemple car il en est d'autres). Musicale enfin car l'auteur/narrateur pénétrant les pensées de ses personnages restitue leur "voix intérieure" (celle de Becker; celle de la femme de Tahar; et surtout celle du  fils; jusque-là muet il va dire, donner à voir - au moment où le père vit ses derniers moments- ,  la scène traumatisante - et les pages sont comme un souffle sans ponctuation. Tout cela n'étant "possible" que par ce mouvement de va-et-vient entre le moment présent (Tahar sur son lit à l'hôpital) et le passé plus ou moins proche dans une chronologie délibérément éclatée.

Refusant le réalisme facile, Fabienne Jacob a opté pour la "suggestion"; du coup les "scènes" évoquées gagnent en force persuasive (deux particulièrement; Becker restera traumatisé par les atrocités commises par Hodeguit; le lecteur "devine" l'effroyable qui gît dans le non-dit; Tahar découvre les corps de ses parents Ali et Zahia : la réalité "insupportable" est transcendée car elle s'inscrit dans une autre "dimension": les mouches anges noirs, l'hibiscus, les calices comme des flammes, les mots père et mère reliés au mot crevasse; et les hoquets de la phrase qui épousent les mouvements saccadés des aiguilles de la montre... avec ce tour de force que les paroles du père Tahar et de son fils Pierre se superposent puis se mêlent en une confondante unité.

 J'ai "retrouvé" ce mélange de sensualité de musique et de poésie (que j'avais tant apprécié dans "Corps") dans l'évocation de ce qui a priori pourrait sembler prosaïque; et quasiment la même phrase "les petites bêtes frémissantes qui courent le long des membres" (premiers émois amoureux dans "Corps" et magie des mots qui font frissonner la femme de Tahar...)
Bref que du plaisir!

PS non ce n'est pas un énième livre sur la guerre d'Algérie....(comme le pensent ou le redoutent certains)

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