Avec Samir Guesmi (Darius) Olivier Rabourdin (Philippe Ripauillac) Solène Rigot (Coli) Patrick Bouchitey (le poète) Pierre Lottin (un garde du corps) Jonas Dinal (Teger King) Yolande Moreau (voix)
Musique de Sébastien Tellier
Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) Belgique, 2025 Compétition officielle
De l’aéroport de Beauvais à La Défense, accompagné de sa valise à roulettes, Darius traverse à pied campagnes et banlieues pour mener à bien, et sans empreinte carbone, une mystérieuse mission...
Ce qui frappe d’emblée c’est le format de l’image, un format scope étiré au maximum- Animascope dit le cinéaste. Car dans ce road movie à pied qui conduit Darius, en costume cravate, menotté à sa valise à roulettes, de l’aéroport de Beauvais à La Défense, la faune va jouer un rôle majeur. L’œil du regardeur se doit de la capturer avec une rétine de prédateur, la plus large possible, grâce au vrai cinémascope anamorphosé Chenille, chouette, abeille, rapace, poissons rouges limace cerf, libellule, martin-pêcheur, grillon, araignée, effraie…animaux et insectes sont là, bien présents, eux les « invisibles » des décors habituels, ils font partie intégrante de notre écosystème, ils regardent l’univers de l’homme (arrêt sur image) -certains insectes et rongeurs sont myopes, la mouche voit le monde au ralenti, l’aigle a une vision panoramique bien plus développée que l’homme… Darius adopte leur point de vue prolongeant en cela le regard de B Delépine et celui du chef op animalier Thomas Labourasse qui les filme plein cadre (lors d’échanges avec le marcheur Votre malice et votre art de la dissimulation sont un modèle pour moi. Bon appétit, maître ! », conversation avec un renard) ou par des plans dits subjectifs qu’accompagne la bande son de leur « langage» (ou la musique de Sébastien Tellier) ; une caméra à même le sol et voici l’humus capté dans sa biodiversité (son odeur et sa vie grouillante) Approche sensorielle toute en délicatesse!
Format dédié aux « animaux » donc ; format qui en isolant l’homme à la valise dans la vastitude des champs crée de surprenantes échelles et proportions. Le très grand Samir Guesmi (choisi par le cinéaste car il est beau comme un James Bond mâtiné de Monsieur Hulot") peut ainsi être rapetissé alors que ses "compagnons" de voyage (dont une limace captive dans la valise avant d'être rendue à son environnement) seront agrandis.
Le format choisi autorise aussi certaines audaces (cf l’étrange arrivée de la voiture de police municipale, sa signalisation lumineuse est comme la prédelle d’un retable, cf aussi le landau qui reposait sur le toit d’une voiture puis capturé emporté par les griffes d’un rapace ; ou encore la séquence dans le bar et l’apothéose des "coups de billard").
De champs pollués (gros plan sur un bidon de pesticides…) en zones pavillonnaires désertées, d’échangeurs en départementales, de sous-bois en cités, Darius rencontre aussi des humains (mention spéciale à Patrick Bouchitey en poète qui voit l'au-delà du visible et entend le langage des choses muettes) A chaque "rencontre" le cinéaste exploite des clichés (cf le gendarme zélé, la vieille femme solitaire épiant derrière son rideau, le chasseur en tenue de camouflage, la jeune écolo …assez escroc). Et ce, avant l’ultime rendez-vous avec Philippe Ripauillac (Olivier Rabourdin) un mégalosaure à la fois président de Totem Energie --sans vergogne il va implanter une nouvelle usine, mortifère pour l’écosystème-, et chasseur invétéré, sadique (cf la collection de trophées de cervidés dans le sous-sol de son immense château à Saint Germain, un sanctuaire …)
Animal totem a les allures d’une fable antispéciste, écologique, à l’humour décalé - cette forme d'humour et la dénonciation du capitalisme outrancier sont la "marque" du tandem Benoît Delépine/ Gustave Kervern, d’ailleurs. Réalisé en solo, ce film s'inspire " d’un combat écologique contre une usine d’enrobage de goudron qui devait s’installer dans la région de Nantes" où vit précisément B Delépine. Après une mobilisation, le projet a été annulé Le CNC a refusé une avance sur recettes ? C’est que le cinéaste "voulait marquer les esprits sans prendre de gants" (l’énigmatique et débonnaire Darius avec sa valise gadgets -à la James Bond- va se révéler un redoutable militant, face aux pollueurs tueurs, .... impunis ….)
Un plaidoyer pour la sauvegarde de notre écosystème, à la fois poétique et audacieux où l’humour décalé se marie aux outrances, à la fantaisie et à l’absurde
Une invitation à voir le monde autrement, à ne pas manquer !!