Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 18 janvier 2024

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Vivre dans le feu Roman d'Antoine Volodine (Seuil)

"Le jeune soldat Sam va être emporté par une vague de napalm. Pour un ultime "pétillement d'agonie" il compose un petit roman hurlé en accéléré.....

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Dernier ouvrage signé Antoine Volodine, mais antépénultième de l’édifice post-exotique Vivre dans le feu serait un guide de survie, les leçons du feu au cœur du brasier. Le jeune soldat Sam va être emporté par une vague de napalm. Pour un ultime pétillement d’agonie, il compose un Petit roman hurlé en accéléré. Roman que le lecteur feuillette en même temps qu’il est censé s’écrire, se « vivre ? Ou roman prequel ? Roman d’initiation sur le mode onirique ? peu importe ! la réponse à l’instar de la question est multiple, et s’évanouit dans l’abolition -ou la vacuité- même de son énoncé. L’essentiel n’est-il pas d’Inventer la famille du feu, l’aimer jusqu’à la fin, rester fidèle au clan du feu en se vêtant du manteau du feu comme si de rien n’était ? Laissons-nous emporter par les songes et les pérégrinations de Sam (double de Mevlido ?) dans un « nouvel » espace-temps où tous les repères sont abolis, où la voix est déformée (comme dans le Bardo?)

 Tout prendre à rebrousse-poil : le temps suspendu, l’auto-dérision, la mise en abyme, et ce, pour une seconde d’éternité. A l’instant où Sam va mourir voici que « sa » famille, surtout des femmes -grand-mères tantes cousines -se manifeste, prend vie sur l’écran de la mémoire, de l’imagination, des rêves. Les deux grand-mères Rebecca et Wolfong encadrent le roman, vieillardes roublardes plus que centenaires, dépositaires l’une du texte « vivre avec le feu » l’autre de sa pratique consommée -et bientôt consumée ?

Si Antoine Volodine consacre à chaque membre de la famille un chapitre -tel un court métrage avec sa dynamique interne ses décors spécifiques sa tonalité particulière- c’est que chacun a « dispensé » une « leçon de feu »  -théorique et/ou pratique, et que dans le monde onirique de Sam, -qui se confond avec le monde et le mode narratif(s)- chacun est comme un archétype (la cantatrice et son chant diphonique, la chamane sorcière)- ce dont témoigne la diversité de traitement musical et formel (dialogues et récit, vocables gutturaux, réalisme cru et envolées plus poétiques, tableautin instantané flash ou plus ample développement, dramatisation et/ou contemplation. Le long chapitre chov mokrun alnaoblag mériterait à lui seul un commentaire particulier, car il allie avec élégance les « motifs » narratif, dramatique, cinématographique et idéologique. Chapitre pivot de l’initiation (pour Sam), et simultanément auto textualité (pour l’auteur) et intertextualité (pour le lecteur de Terminus radieux, Black village, Bardo)

 Une narration éclatée qui illustrerait des dysfonctionnements internes au clan, voire des haines et des assassinats ciblés ? (cf l’homoncule du grand-père Bödgröm  tué par Sam à la demande expresse de tante Yoanna; alors que tante Zam a évité le tir mortel de sa fille sniper grâce à une imprécation). En fait, la fragmentation n’est qu’apparente car d’un chapitre à l’autre se répondent des « motifs » tels des échos intérieurs (l’oxymore « flammes noires » la « noirceur absolue du feu », le personnage sujet d’un chapitre mais objet de mire ou de ressentiment dans un autre, les imprécations la sorcellerie) ou des contrastes en échos inversés (à la longue chevauchée avec les tantes Coltrane et Sogone dans l’univers macabre charbonneux de l’après-apocalypse répond celle en compagnie des deux cousines Madonna et Silsie sur un territoire mongol aux béances vertes et lumineuses)

 Comme la plupart des personnages post exotiques Sam lutte pour sa « survie ». Certes il a été victime d’un long coma (des années ? des siècles ? dans le monde onirique ou bardique les repères temporels sont abolis) Une si longue absence ! Retiré d’un brasier au milieu d’une ville où tout flambait, il n’a pas connu les grands bouleversements, lui qui en sous-sols était choyé par des moinesses - leurs noms enchanteurs sont les témoins de cette existence antérieure…Grand-mère Padayara tente en vain d’extirper quelque bribe de ce « voyage immobile » mais l’aveu « je ne voyais rien et je le regrettais » tendrait à prouver qu’il n’y a pas eu Re-naissance. Et que la lutte pour la survie en cet instant si précieux -où il s’invente…. une Vie- serait la manifestation d’une aptitude quasi viscérale à survivre, dans cette entièreté que lui confère l’auteur Volodine

 A l’instar de Sam spectateur halluciné d’une « réalité parallèle chargée de passé bizarre et de poésie » qu’il voit défiler sur l’écran dans cette salle de projection de Newtown (ex Goumkhad) en compagnie de tante Sogone, le lecteur/spectateur n’a-t-il pas assisté à une aventure où se mêlent le tragique le cauchemar la douce sensualité et l’humour pince sans rire ? alors que simultanément sur l’écran de sa mémoire défilaient personnages et univers lointains et si proches…

 « Début de la fin »

Je dispose d’une seconde/ J’ai donc tout mon temps

 En écho l’excipit

J’avais encore une grosse seconde devant moi /Ça me laissait de la marge pour voir venir

 Et pour le lecteur, entendre bientôt une autre voix du post-exotisme ?

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