Colette Lallement-Duchoze

Abonné·e de Mediapart

592 Billets

2 Éditions

Billet de blog 22 décembre 2013

Colette Lallement-Duchoze

Abonné·e de Mediapart

L'escale

Colette Lallement-Duchoze

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Documentaire de Kaveh Bahktiari

Musique: variations de Luc Rambo

Alors que la presse est unanimement louangeuse, alors que ce    documentaire présenté à Cannes Un certain regard, est soutenu par 9 associations et a reçu plusieurs prix (à Namur, Montréal et Leipzig)  pourquoi diable ne peut-on le voir qu'en  séance indépendante?   ah les arcanes de la distribution!.

 À l'heure où à l'échelle européenne l'on verse des larmes de crocodile sur les  malheureux migrants que la mer ou la terre a ensevelis, à l'heure où l'on est fier d'afficher des quotas de retour aux frontières, à l'heure surtout où l'autre -précisément à cause de cette    altérité- sert de bouc-émissaire à toutes les turpitudes (idéologiques) et à toutes les dérives du comportement, voici un film documentaire salutaire! Non parce qu'il s'interroge sur les causes    politiques ou économiques de la migration clandestine, mais parce qu'il donne à voir, palper même (la caméra dans l'espace étouffant de l'appartement filme au plus près) une situation humaine très violente dans sa quotidienneté (même si quelquefois on rit de bon cœur ou que le réalisateur dédramatise une situation: le recours à des lentilles pour faire coïncider la couleur des  yeux avec celle du faux passeport par exemple!)  

Le réalisateur  Iranien d'origine, immigré en Suisse, est en outre le cousin d'un des protagonistes (c'est à lui qu'il dédie L'Escale): ce statut de filmeur/complice/parent permet au spectateur    de se sentir lui aussi au cœur de la clandestinité (et non pas de rester extérieur... comme c'est souvent le cas dans des docus/fictions); nous sympathisons avec "Bruce Lee" ex prof de sport,    avec cet ado révolté, avec ces deux cuisiniers ventrus, avec Moshen le cousin à la lèvre suturée, avec Ahmid dont l'ultime recours est la grève de la faim!. Film "clandestin" (le cousin a servi de "passeur" au cinéaste qui partagera leur appartement et filmera leur quotidien) sur la clandestinité!

Film qui fait    alterner les scènes d'intérieur (promiscuité dans la "pension" d'Amir où se sont retrouvés quelques Iraniens en "escale" à Athènes dans l'attente de passeports pour un ailleurs) et scènes    d'extérieur: la déambulation dans les rues entravée par la peur permanente des contrôles (surtout ne jamais courir...), la pose en bord de mer.. moins anxiogène ....où les corps filmés de dos    sont comme silhouettés dans la pénombre entre terre mer et ciel,  loin des "barrières" qu'escaladent certains, parfois avec succès...

 Voici un gros plan sur un rideau épais  à l'intérieur de l'appartement  (ce plan ouvre et clôt le film); une lumière le lacère    en sa moitié; oblitérer l'ouverture -vers l'extérieur, vers le regard d'autrui-  dit la volonté de se rendre "invisibles", car être clandestin n'est-ce pas précisément être "hors du champ    social"? Voici une scène en extérieur : migrants et famille grecque, un enfant comme objet de "culte" on lui sourit on le caresse; cette scène  comme illustration des "non-dits" à la fois sur un passé (famille en Iran?) et sur le futur proche (après l'escale la joie d'être père un jour?). Voici une scène de nuit pas loin de l'embarcadère: une foule en masse compacte sur laquelle  la caméra à distance va zoomer; escalades (réussies ou avortées) de la grille puis des fils barbelés; cette scène comme métonymie du sort de tous les migrants clandestins ?...

Ce film prouve que    Kaveh Bahktiari a bien bien assimilé la leçon de son maître Abbas Kiarostami "dans chaque film, il y a une pierre précieuse qu'il te faut    trouver" Et si la pierre précieuse sortie de son écrin/écran continuait à rutiler et chanter en nous au son des variations de Luc Rambo!!

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.