Colette Lallement-Duchoze

Abonné·e de Mediapart

592 Billets

2 Éditions

Billet de blog 23 octobre 2016

Colette Lallement-Duchoze

Abonné·e de Mediapart

Le grand jeu de Céline Minard (Rivages)

L'éternité peut-elle tenir dans une durée finie?

Colette Lallement-Duchoze

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Est-ce en s'isolant dans un érémitisme -même drapé de haute technologie- que l'on parviendra à résoudre la grande énigme de l'Existence, comprendre la Règle du Jeu? En se mettant soi-même en jeu et miser son "je" comme enjeu? ? C'est à ce questionnement -où les "espaces réels", la montagne, deviennent "espaces de pensée" -que tente de répondre la narratrice du roman de Céline Ménard "Le Grand Jeu"

Le texte fait alterner passages descriptifs et questionnements. Certes ils sont séparés typographiquement par des blancs/pauses. Dans les premiers s'imposent le "je" comme instance narrative, le recours au passé composé (qui n'exclut pas le passé simple ou l'imparfait et quelquefois le présent dit de narration) alors que dans les seconds -eu égard aux multiples questions plus globalisantes- le "je" devient un "je" plus universel (relayé par un "tu") et le temps verbal choisi est celui du présent de vérité générale. Mais malgré ces différences formelles apparentes, les deux s'appellent en se répondant, les seconds prolongent la narration censée être consignée dans des carnets (comme il est fait allusion plusieurs fois) et vice-versa. Les notations précises parfois sèches dans leur énoncé qui décomposent chaque geste (installation, repérages, apprivoisement, cuisine, jardinage, ascension) la rencontre improbable d'un moine plus tard identifié comme une "chamane" stylite ou funambule ..servent de support moins à "un rapport d'activité" qu'à une "expérience de la pensée" (propos de l'auteur)

Faut-il se retirer de tout contact avec autrui (comme le recommandait Marc-Aurèle") éviter "un ingrat, un envieux, un imbécile" (la formule revient en leitmotiv)? Afin de se donner "une règle privée"? Dans le monde très méthodique que s'est créé la narratrice dans ce tube/tabernacle/refuge accroché à une paroi montagneuse, où la marche alterne avec la méditation, la lecture et la musique (elle est violoncelliste) elle était loin d'imaginer qu'une présence insolite (tas de laine pourvu d'un auriculaire immense) allait perturber ses plans initiaux; toutefois ce grain qui vient gripper la "machine" va l'aider à aller plus loin "dans sa compréhension de l'humain" (expliquait Céline Minard lors d'une renconre)

Au début de son installation, la narratrice sait qu'en plantant des bambous le bosquet sera une armée invasive; mais immobile "cette assemblée d'esthètes change par sa présence la lune en lanterne et l'envoie flotter parmi les cailloux". On célèbre les trois arts avec les sept sages, poésie, calligraphie et musique. Et de fait on se rend compte à la seconde lecture que le texte (même si l'auteur n'a pas un plan pré-établi) semble obéir à ces trois formes d'expression artistique. Poésie qui métamorphose par métaphores ou agrandissement quasi cosmique la réalité la plus banale. Lignes transversales verticales diagonales qui sillonnent l'espace montagneux en le calligraphiant à la façon d'estampes japonisantes. Musique des bruissements ou des orages de la vie (animaux insectes forces vives de la nature). Et au final nous allons entendre le long poème écrit dans l'eau; son et image se confondent; le poème coulait au-dessus de l'eau avec elle en elle hors d'elle"

Et si le grand jeu ne consistait pas à toujours se questionner sur les enjeux sans attendre de réponse?

L'éternité peut-elle tenir dans une durée finie?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.