Colette Lallement-Duchoze

Abonné·e de Mediapart

592 Billets

2 Éditions

Billet de blog 24 mai 2012

Colette Lallement-Duchoze

Abonné·e de Mediapart

Je suis une aventure Arno Bertina

Colette Lallement-Duchoze

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ceci est un billet d'humeur. Une réponse à l'article d'Igor Capel paru dans le Canard enchaîné du 15/02/2012. Alors que le titre et le chapeau sont élogieux (Balle de break. Dans "Je suis une aventure" Arno Bertina part à la rencontre d'un génie du tennis pour apprendre les règles de la sagesse"); alors que les trois quarts de ses propos rendent compte avec humour finesse et justesse d'une  partie du roman, une phrase assassine, servant de transition, assimile par métaphore le moteur de la moto qui se grippe à la mécanique du roman :"comme par mimétisme l'auteur perd de sa grâce et se met à redouter les pouvoirs de la fiction où il s'enferre peu à peu" "dommage"

Quand le critique affirme "on est alors à la moitié du livre", il situerait la seconde moitié juste après l'entrevue du narrateur avec le tennisman et l'audition de la confession du boxeur Mike Tyson; or  nous sommes au chapitre 11; et c'est au chapitre 15 (page 171, le roman en comporte 490) que commence une "aventure" rocambolesque qui conduit le narrateur, Fédérère et la forme informe, de Bâle à Londres (en vue de dérober la figurine/Fédérère au musée Tussaud). L'épisode londonien s'inscrit ainsi non dans la seconde partie du roman mais au début du deuxième tiers. Si l'on se réfère au découpage d'Igor Capel, on déduira stricto sensu que seules les 170 premières pages sont dignes d'un romancier talentueux… Qu'en est-il des 320 restantes ? Sur le fond Arno Bertina "s'enferre dans la fiction" et sur la forme "il est contraint de se rabattre sur celle plus convenue du récit de voyage". La forme choisie/imposée pallierait ainsi les insuffisances de l'imagination!! Cette double accusation ne résiste pas à un examen critique

L'aventure londonienne puis l'épisode malien non seulement révèlent l'époustouflante faculté imaginative de l'auteur mais par un jeu d'échos et d'effets spéculaires, annoncent la métamorphose de "tous" les personnages (la figurine dérobée puis mutilée au retour de Londres, préfigure le mannequin arboré par Benigno Ramos au Mali, en proie aux flammes; les deux servent de prélude à la mort des icônes à laquelle se substituera l'authenticité du vécu; la polysémie du terme "forme" fait se mêler en une confondante unité la "forme physique" du tennisman et la "forme littéraire"). La thématique récurrente du dédoublement et la dialectique "désunir/rassembler" (fédérer)–si patente dans la confession de Tyson, dans la "mission" de Pirsig "recoller tout ce que Thoreau a séparé"- hantent non seulement les Chautauquas mais l'ensemble du roman. En aucun cas elles ne sauraient se "dissocier" des "formes" choisies par le romancier: récit, dialogues, monologues intérieurs, rêves et réalité en anamorphoses (nombreuses occurrences de l'adjectif "mental"), lettres (de Benigno Ramos à Rodgeur , lettre de Rodgeur au narrateur), extraits d'œuvres, schémas graphiques mais aussi mots inachevés -la finale remplacée par /-, points de suspension à l'initiale de chapitres; parfois de longues phrases sans signe de ponctuation (c'est le souffle d'un monologue intérieur) ou ample développement avec abondance de parenthèses et d'incises entre tirets. Tout cela est au service d'un fol enchevêtrement dans l'évocation de toutes les sensations (réellement éprouvées ou rêvées) et des questionnements "existentiels". Les chapitres "carambolage" et "tête-à-queue", l'ambiance du bordel à Bamako où le tourbillon de fêtards imite la chorégraphie d'une "chenille cocaïnée", en témoignent aisément. Souvent l'écriture est stroboscopique à l'instar des fantasmes du narrateur. L'exemple le plus probant est le chapitre "carambolage" 1(page 271)nous sommes au Mali, la moto d'Ousmane "déconne", "tout bouge en même temps" et voici sur une même page (split-screens appliqués à l'écrit) des polices différentes, des paragraphes dissociés et disloqués, des onomatopées. Un détail apparemment anodin est mentionné au début du roman: les grottes d'Arcy-sur-Cure; celles-ci feront l'objet d'anecdotes racontées à Jean Muir, introduisant la notion de palimpseste (et du coup celle de strates à décoder; comme une invitation au lecteur à s'interroger sur le processus de l'écriture)

Ce roman apparenté à un road novel –et dont le titre a des résonances rimbaldiennes-  serait moins une intrigue qu'un mouvement -avec ses "trajectoires", ses chemins tortueux aussi-; un mouvement dans l'espace repérable autant dans les lieux "visités" (Bâle, USA, Londres, Mali, Maroc) que sur les courts de tennis; un mouvement comme voyage intérieur. Un roman très incarné" ne serait-ce que par la prégnance très palpable de la matière et de la sensualité mais qui se conjugue avec la réflexion récurrente sur la "grâce et où la Vie qui "flotte parfois comme dans un rêve", est constamment magnifiée. À chaque page le plaisir d'écrire. Évidence solaire!

Mais si Igor Capel a éreinté (en partie) le roman d'Arno Bertina n'était-ce pas une façon déguisée (donc biaisée) de s'attaquer aux propos du romancier qui récuse ceux de Thoreau? Dans Welden ce dernier met le lecteur "au défi de se pencher sur sa vie et de la vivre dans l’authenticité". À la fin de "Je suis une aventure" les deux personnages–le narrateur et Fédérère-"vont s'arracher précisément à l'idée d'opposition et d'adversité"; le narrateur aura fustigé au passage "des connards qui font profession, dans les médias, d'apocalypses pour demain", "petits clones de Thoreau qui voyait la décadence partout chez ses contemporains"…

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.