Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 25 mars 2023

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Chili 1976, film de Manuela Martelli (Chili 2022)

Un film qui d'emblée frappe par la puissance suggestive du hors champ et de la bande-son.

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Avec Aline Küppenheim, Nicolas Sepulveda, Hugo Medina

Quinzaine des réalisateurs Cannes 2022

Festival AL'Est Rouen jeudi 2 mars 2023

Chili, 1976. Trois ans après le coup d’État de Pinochet, Carmen part superviser la rénovation de la maison familiale en bord de mer. Son mari, ses enfants et petits-enfants vont et viennent pendant les vacances d’hiver. Lorsque le prêtre lui demande de s’occuper d’un jeune qu’il héberge en secret, Carmen se retrouve en terre inconnue, loin de la vie bourgeoise et tranquille à laquelle elle est habituée.

Inspiré par sa grand-mère, dédié à sa mère et à toutes les femmes intrépides, (cf générique de fin) ce premier long métrage de l’actrice Manuela Martelli frappe d’emblée par  la puissance suggestive du hors champ et de la  bande-son.

Ne vous attendez pas à voir une docufiction sur le Chili, 3 ans après l’installation de Pinochet au pouvoir ; sur l’année 1976 la plus  noire et sanglante de la dictature, sur le pouvoir de la DINA  cette police créée par le dictateur.  La réalisatrice adopte en effet le point de vue de Carmen, une bourgeoise, la cinquantaine, femme de médecin, chef de service à l’hôpital Barros Luco de Santiago -(décliner cette appartenance sert de passeport)- une maîtresse de maison accaparée par la rénovation de sa villa de vacances en bord de mer et les va-et-vient de ses petits-enfants. Les événements "majeurs" que vit le Chili, ont lieu à l’extérieur de sa "bulle sécurisée".  Or progressivement Carmen va s’approcher de ce monde  insoupçonné. Le spectateur est ainsi invité à  "suivre"  l’histoire du Chili à travers les propres  "découvertes"  du personnage principal, dans un film qui s’apparente souvent à un thriller :-du moins Manuela Martelli  lui emprunte les codes (tout ce qui ne peut directement être vu ou entendu, tout ce qui se passe à la périphérie, la musique, le suspens, l’idée que quelque chose est sur le point d’arriver). Carmen héberge et soigne un « voyou » (ce sont les propos du prêtre Sanchez concernant le blessé !) Dès lors ses déplacements vont s’inscrire dans une « géographie » inconnue, celle des zones de contrôle permanent, de couvre-feu à respecter ; l’angoisse d’être suivie, les mensonges réitérés, la suspicion qu’elle « lit » dans les regards (cf la séquence dans un bar où les clients sont figés) tout cela exprime une tension intérieure que la réalisatrice met en parallèle avec la tension  politique.

A l’instar du personnage (si brillamment interprété par Aline Küppenheim) la musique elle aussi se transforme tout en restant très intense et suggestive ; elle joue d’abord le rôle de contrepoint à l’univers sécurisé de Carmen, puis avec les changements, et/ou prises de conscience ( ?), les synthétiseurs vont céder la place à des instruments plus traditionnels

Certains procédés peuvent sembler outranciers (gros plan sur la goutte de peinture rose qui s’en vient tacher le bleu de l’escarpin -cf scène d’ouverture- ;  duplications ou effets spéculaires répétés) mais ils acquièrent rétrospectivement une fonction symbolique. Et inversement ce sera au hors champ  de composer le « tragique » de cette année 1976 (de la déflagration initiale sur le trottoir en face de la droguerie, ne nous parvient que le son; d’un enlèvement qu’une vue en plongée sur la plage;  de la fouille de la voiture que des feuilles éparses).

Ajoutons que la réalisatrice tout en filmant en plans (très) rapprochés Elias, le « blessé » (Nicolas Sepulveda) et Carmen (qui le panse avec délicatesse) évite le piège du passage trop facile à la « romance »

Un film original (structure et point de vue) à ne pas manquer!

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