Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 26 mai 2025

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Autoroute roman de Sébastien Bailly (Le tripode)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On prend sa voiture on abandonne son ancienne vie et on roule. Conduire, fuir vers l’amour. Le défilement sera ponctué en 65 chapitres aux titres laconiques, 65 verbes à valeur programmatique. Un défilement en (r)accord avec le déroulé de la narration et le défilement de la vie avec ses avancées, ses pauses, ses ralentissements, ses embranchements, ses retours ; l’habitacle du véhicule étant par métaphore celui d’une conscience qui se souvient imagine fantasme conduire et échafauder tous les scénarios possibles jusqu’à l’épuisement du sujet. L’autoroute un cadre privilégié pour l’exercice qui consiste à « endosser tous les rôles » à pénétrer les intériorités, celles des autres conducteurs et passagers que l’on côtoie. Autoroute qui par une comparaison « osée » aurait d’ailleurs des accointances voire des similitudes avec la langue si l’on admet que la grammaire est le code de la route de la langue… on respecte les priorités on ne grille pas les feux tout comme on respecte la syntaxe…Autoroute ce ruban de bitume dont les strates ont enterré à jamais ( ?) une géographie et l’Histoire d’un peuple, des peuples. .Autoroute et archéologie à redéfinir !

Au volant de sa voiture le personnage est surtout celui qui par un effet de mise en abyme va donner corps à une écriture celle qui joue avec les « codes », une écriture empreinte d’humour (noir parfois) nourrie d’auto dérision, et qui proposerait une trajectoire à la fois réaliste, abstraite et fantasmée, telle une géométrie dans l’espace, reliant (faux) départ et (fausse) arrivée ; une écriture qui accumule (par la profusion des détails) questionne (abondance des interrogatives) et prend le lecteur à partie.. Un lecteur embarqué pour 11 heures et 37 minutes comme passager clandestin. Car l’instance narrative «tu » peut désigner tout autant une voix intérieure, - la voix off du soliloque, du dédoublement-, qu’une adresse à une tierce personne et pourquoi pas au lecteur ? Un procédé littéraire assez courant (on se rappelle le « Vous » de La modification de Michel Butor -Léon Delmont est à bord du train Paris Rome, le compartiment étant l’habitacle de sa conscience, l’itinéraire balisé par toutes ces gares répertoriées à l’époque (1957) dans les chaix… Au vouvoiement distancié répond certes le tutoiement plus intime mais dans les deux cas ne s’agit-il pas d’une mise en abyme du personnage dans son propre récit ? et d’une matérialité (le train, la voiture) qui orientera la conscience du personnage/héros ? Mais le « dénouement » est tout autre….

Le lecteur, passager clandestin donc à l’instar (mais …mutatis mutandis) de cette empreinte olfactive « passagère clandestine » dans la vie de la grand-mère (dont le souvenir s’impose à partir d’une sensation olfactive chapitre « sentir ») qui aura conservé intactes les fragrances d’un premier amour, Jules. A un moment le narrateur évoque la « position du passager » (se tenir à la bonne hauteur ») Or se tenir à la bonne hauteur c’est aussi la démarche de l’écrivain (malgré quelques vues en plongée comme en surplomb) et pourtant s’imposera le constat-couperet il est pratiquement impossible de garder la trajectoire et la vitesse, trop d’obstacles trop de pauses involontaires (François Bon cité en exergue avait lui-même écrit un ouvrage au titre si révélateur Autoroute ou comment rater la sortie d'un livre qu'on voulait d'aventure ) Obstacles matériels qui préfigurent en les incarnant- tous ceux liés à la quête de l’amour, d’un « amour fou » ; quête déclinée en ses possibles fantasmés rêvés, vécus et à revivre ???

Souvenirs évoqués à l’imparfait, fantasmes au conditionnel (irréel du présent ou du passé) prétérition ironique mais surtout une prolifération de détails (comme autant de « clichés » glanés dans le quotidien le plus banal) décomposés avec la précision de l’entomologiste, comme au ralenti, avec cette correspondance entre le temps de l'écriture et le temps réel, et avec le mélange quasi constant de réalisme et d'ironie. La banalité et sa mécanique à la fois rituelle et redoutable. Un quotidien qui s’inscrit aussi dans des préoccupations actuelles plus alarmantes. Parfois l’adverbe -si récurrent -et pour cause !!!-dans le roman précédent-, peut impulser un chapitre et le lecteur est entraîné dans des circonvolutions telles que l’’apanage de l’un (auteur) est transféré à l’autre (lecteur) Or le personnage à la fois auteur et lecteur rêve d’une bibliothèque-labyrinthe (borgésienne( ?) ; alors que simultanément le lecteur aura assisté à une métamorphose qui exhausse le quotidien au rang de mythologie : -la mousse du café est une galaxie, un corridor végétal et futuriste « vu du ciel serait une cicatrice-,  ou qui verse dans le fantastique (atterrissage d’un monomoteur à hélice blanc et bleu et qui dans le code de la route aura toujours la priorité lorsqu’il arrive par-dessus) voire la paranoïa :serait-ce l’avion affrété par ses proches ? pour récupérer le fuyard…en quête d’Amour Après tout une autoroute est aussi une piste d’atterrissage…

Arriver tu le comprends d’un coup, est pire que partir et il faudra attendre le tout dernier chapitre (« épiloguer) pour non seulement affirmer -rétrospectivement On efface tout et on recommence , mais pour pénétrer dans l’univers beckettien de « La dernière bande »,

Une voix maternelle dira les milliers de kilomètres parcourus…

Le texte peut rester en suspens

Deux chaussures de toile bleue, usées jusqu’à la corde gisent à tes pieds…

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