Colette Lallement-Duchoze

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Billet de blog 28 octobre 2025

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Imago de Déni Oumar Pitsaev  (France Belgique 2024)

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Cannes 2025 :Prix french touch section Semaine de la Critique et  Œil d’or (prix qui distingue le meilleur documentaire du Festival toutes sections confondues)

Déni est le nouveau propriétaire d’un petit lopin de terre dans une vallée isolée en Géorgie, à la frontière de la Tchétchénie dont il est exilé depuis l’enfance. Il débarque là-bas et projette d’y construire une maison qui tranche drôlement avec les coutumes locales. Un fantasme qui ravive ses souvenirs et ceux de son clan déraciné qui pourtant ne rêve que d'une chose, le marier !

Un documentaire autofiction ? Car c’est bien son propre voyage en Géorgie, les retrouvailles avec  ses proches, avec sa famille tchétchène exilée au Pankissi, et le désir de construire la maison de ses rêves sur son terrain qu’évoque le cinéaste dans ce premier long métrage. Il se filme en filmant son retour. On devine à travers l’abondance des dialogues le poids de l’exil (lui-même ayant vécu enfant et adolescent entre Grozny, Saint-Pétersbourg et Almaty, puis exilé en France, où il a étudié à Sciences po avant de suivre un cursus de cinéma puis d’arts audiovisuels en Belgique ; les siens exilés  depuis 1990 ) mais aussi les traumatismes de la guerre vécue en l’absence du père (rappel des massacres d’avril 1995 à Grosny). Le cinéaste constate avec lucidité l’abime qui sépare désormais deux modes de pensée, deux modes de vie (tous quel que soit leur âge quel que soit leur sexe ont hâte de le voir « marié », d’être père de famille etc…Daoud le cousin trentenaire lui vante les bienfaits de la famille ;  la mère a acheté ce lopin de terre au Pankissi pour qu’il construise une maison, temple de la Famille ; le père prêt à accorder son soutien tout en reconnaissant le caractère éphémère d’une maison sur pilotis…Construire une maison hors des normes traditionnelles locales est-ce bien raisonnable ? (je suis hors du lot…) Or la « construction » n’était qu’un prétexte, donné aux proches afin de peupler la « future » demeure de leurs propres schémas culturels…

La double acception du terme Imago (titre) renforce cette impression. Imago ou stade de métamorphose chez certains insectes ; or certains ne connaîtront pas le stade suivant (tu comprends ? et le père de répondre dubitatif pas vraiment….)  Une autre acception psychanalytique désigne depuis Jung I’image inconsciente des personnes de l'entourage du sujet, qui se fixe dans la petite enfance.. … La séquence avec la mère où le quadragénaire se rappelle ou tente de se rappeler l’emplacement précis de tel ou tel objet est plus qu’un exercice de mémoire ; il entend encore la voix qui chante ; mais le commentaire empreint de nostalgie mélancolique vite réprimé en dit long sur le poids des traditions… allongé dans l’herbe la tête reposant sur la cuisse maternelle il la prie tel un enfant « caresse-moi les cheveux » (l’ambiance champêtre la répartition des couleurs la lumière exhaussent cette séquence bucolique à une dimension quasi mythique). En écho inversé le face à face avec le père (acmé du film) -le fils reproche entre autres à son géniteur de l’avoir délaissé lors des massacres à Grosny en 1995-,  oppose en fait deux façons d’appréhender la filiation l’amour paternel (les pseudo arguments du père resteront frappés d’inanité) et voici que les visages vus de profil dans le maillage complexe des branchages - grossis élargis par un zoom- disent peut-être la colère …larvée mais surtout l’irrémédiable, soit  l’impossibilité d’un retour…

Savourer une mûre, écouter le lamento d’une femme, tenter de démêler la complexité idéologique et relationnelle et par l'enjeu cinématographique (Déni Oumar Pitsaev est à la fois le personnage l’interprète et le réalisateur d’Imago) être l’artisan de son destin (aller vers l’autre c’est aussi cheminer vers soi) tel est bien l’enjeu de ce documentaire très personnel certes mais à l’authentique portée universelle

Un documentaire à voir

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