Il y a 3 ans, les violences quotidiennes que vivent les personnes exilées à Paris ont été mises au grand jour lors de l’évacuation brutale d’un campement de 500 tentes place de la République, entraînant des condamnations au plus haut niveau de l'État.
En dehors de cette séquence d’indignations unanimes, ces violences perdurent dans le plus grand silence et se poursuivent sous différentes formes : harcèlement, évictions de lieux de vie, destructions de biens, violences verbales et physiques… Elles sont très largement sous-documentées car elles se produisent généralement dans des lieux isolés, à des heures ‘invisibles’ la nuit ou tôt le matin et sans témoins, rendant difficile le recueil de preuves pour envisager d’entreprendre un recours. A cela s’ajoutent le sentiment d’impuissance, la peur des représailles et la certitude que la parole policière n’aura pas le même poids que celle des personnes exilées.
Le Collectif Accès au Droit documente ces atteintes aux droits et mène un travail d’observation des expulsions et des violences policières commises à l’encontre des personnes exilées à Paris et dans sa proche périphérie, avec la triste conviction que l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris va accélérer ces pratiques et ce “nettoyage social” de l’espace public.
Cette démarche se veut dynamique et collaborative afin que chacun.e, à titre individuel ou au nom d’une organisation, puisse faire un signalement, apporter un témoignage et contribuer au recueil de données de l’association.
A ce jour, nous avons comptabilisé et documenté 448 témoignages de violences policières commises envers les personnes exilées entre 2015 et 2023 dans un premier rapport d’enquête. Ce travail, loin d’être exhaustif et systématique, met en lumière une présence policière disproportionnée, qui contrôle, harcèle, disperse et invisibilise les exilé.es. Parmi ces violences, 88% relèvent de situations d’évictions, de dispersions dans l’espace public, 33% de confiscations ou destructions de biens et 30% d’agressions physiques.
En parallèle, nous avons réalisé ces dernières semaines une enquête flash sur les 6 principaux lieux de campement des personnes exilées qui confirme ces premiers résultats : sur les 103 personnes interrogées, 79% déclarent avoir été victimes de violences policières, et 78% l’ont été à plusieurs reprises.
Ces violences constituent depuis 8 ans la condition des personnes exilées à Paris. On ne peut les comprendre que dans leur dimension systémique, dans un continuum de violences institutionnelles qui entrave l’accès à leurs droits les plus fondamentaux.
Ainsi se poursuit le cycle infernal des campements, des évacuations et du harcèlement policier autour des 369 opérations de mises à l’abri que nous avons recensées depuis 2015. Si elles apportent des solutions indéniables pour certain.e.s, elles fabriquent également de l’errance et de souffrance psychique pour celles et ceux qui ne rentrent pas dans les bonnes cases et qui se retrouvent à la rue, en proie à un harcèlement policier continu. Nous mesurons quotidiennement les conséquences de ce non-accueil, de cette troisième violence, après celles de l’exil et de la migration, sur la santé somatique et mentale de personnes bien souvent exténuées par des mois ou des années d’errance. Elles se retrouvent ainsi placées, du fait d’une action publique, dans une précarité plus grande encore qui les éloigne du droit.
Les condamnations des collectifs citoyens, des associations, de chercheur.se.s ou encore d'institutions sont unanimes. Pourtant, la situation continue de se dégrader, et la seule réponse apportée est une logique sécuritaire et un tri des vulnérabilités, qui en défini des bonnes et des mauvaises, des légitimes et des illégitimes, dans le plus grand mépris des principes humanitaires et de l’inconditionnalité de l’aide. Pire encore, elle se double d’entraves et d’attaques qui visent le travail des citoyen.ne.s, des collectifs et des associations qui les accompagnent. Nous avons ainsi recensé de multiples témoignages de contrôles, d’amendes contre ces dernier.e.s, jusqu’au récent arrêté anti-distributions alimentaires que la justice a fini par suspendre.
Cette situation est pour nous emblématique de l’état des droits et des libertés en France, emblématique d’une société qui stigmatise, exclut, maltraite, et précarise les plus fragiles au lieu de les protéger et de favoriser leur insertion.