Nous, citoyens Européens vivant ou travaillant au Mali, porteurs de diverses origines, de tous horizons politiques, issus de divers corps de métier, et subissant les effets de la dégradation des relations diplomatiques entre La France et le Mali, exprimons notre profonde désapprobation face aux sanctions prises par le gouvernement français à l'encontre du Mali et de sa population.
L’arrêt de la délivrance de visa aux ressortissants maliens, le classement de l’ensemble du pays en zone rouge y compris la capitale, la suspension de l’aide publique au développement et de la coopération, ainsi que la réduction des effectifs consulaires ont des conséquences graves, d’autant qu’elles ont pour la plupart été appliquées brutalement sans concertation avec les acteurs sur le terrain.
- L’arrêt de la délivrance des visas empêche l’accès des personnes à leurs droits et aux opportunités qui leur sont offertes. Des familles binationales sont séparées, les échanges artistiques et culturels sont suspendus, privant des artistes de leur programmation à venir, des responsables d'associations, d'ONG, d'entreprises, ne peuvent plus rejoindre leurs projets, des étudiants et des chercheurs abandonnent l’idée de rejoindre leur université, des sportifs ne participeront pas aux entraînements et aux compétitions, tout cela à l'approche des JO qui auront lieu ... en France
- La récente classification en zone rouge de la capitale Bamako est une mesure injustifiée, qui s’apparente à de la rétorsion suite à la prise de position malienne sur la situation au Niger. Nous ne constatons pas, nous qui sommes sur place, une augmentation de l’insécurité à Bamako qui justifierait de passer de zone orange à rouge. Être classé en zone rouge engendre d'innombrables effets pervers, ralentit les flux commerciaux et de personnes, impacte négativement les opérateurs économiques locaux et internationaux travaillant avec l'Europe et menace de nombreux emplois locaux, complique voire rend impossible le recrutement d'occidentaux dans les entreprises, la venue sur le terrain de responsables des projets, l'obtention de certaines assurances...
- L'arrêt de la coopération et la suspension de tout financement public français a mis fin à des projets et à de nombreuses coopérations bilatérales qui avaient mis des décennies à se mettre en place. La soudaineté de ces mesures a rompu des équilibres complexes, a laissé des familles dans des situations de détresse et de vulnérabilité dramatiques, provoqué des vagues de licenciement et nourri un sentiment d'injustice parmi nos partenaires maliens.
Nombreux sont les Européens engagés au Mali dans des domaines extrêmement diversifiés. En France, la communauté malienne est la plus importante d'Afrique noire. Combien de familles, d’enfants issus de couples mixtes, de binationaux, d’acteurs associatif, d’ONG, de la coopération souffrent de ces sanctions ? D’autant plus que celles-ci, en plus d’être injustes et cruelles, s’avèrent totalement inutiles et contreproductives.
- Le Mali a décidé d'appliquer le principe de réciprocité - quand il le peut -, ou des contre-sanctions :
- Paris suspend sa coopération, Bamako interdit à tout financement public français d'opérer sur son sol.
- Paris suspend les vols Air France (sans préavis), Bamako interdit les vols Air France.
- Paris suspend la délivrance de visas aux Maliens (encore sans préavis !), Bamako ne délivre plus de visas aux Français !
- Ces sanctions se retournent contre la France car dans leur grande majorité, les populations sanctionnées en rendent responsable avant tout le gouvernement français. Contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire, il n’y a pas de sentiment anti-Français au Mali mais bien un sentiment de rejet de la politique française à l’égard du Mali. Les peuples maliens et européens se considèrent toujours comme frères. Mais pour combien de temps encore si les citoyens – notamment les Français - continuent à se taire ?
Autre sujet préoccupant, ce sont les mots prononcés à la légère par les personnalités politiques françaises au sujet du Sahel en général et du Mali en particulier. Sachant qu'ils seront entendus par potentiellement 450 millions d'africains francophones, nous leur saurions gré de s'exprimer avec respect et diplomatie. Ainsi quand le gouvernement français qualifie systématiquement de « junte illégitime » les autorités de transition du Mali, la population malienne, dont c'est avant tout à elle de juger de leur légitimité, ressent ces paroles, au mieux comme de l'ingérence, au pire comme un affront.
De telles paroles ne servent à rien et sèment la discorde.
Au-delà des relations entre nos différents États et nos gouvernants, il existe une multitude de liens personnels et professionnels entre familles, associations, entreprises, artistes, étudiants, chercheurs, etc. qui sont garants du bien-être et du développement social et économique des citoyens de nos nations. Ces liens doivent être préservés, perdurer et se renforcer, indépendamment des tensions diplomatiques actuelles entre nos États. Si nous brisons ces liens, comment reconstruirons-nous le vivre-ensemble ?
Pour sauvegarder le patrimoine humain interculturel que nous nourrissons, entretenons et construisons tous les jours, nous demandons au gouvernement français de prendre trois mesures immédiates. Ces mesures perçues comme un signe d'apaisement permettraient, nous en sommes convaincus, d'initier une reprise des relations diplomatiques.
- la reprise de la délivrance de visas aux ressortissants maliens (par l’instruction des dossiers par voie électronique si nécessaire).
- l’annulation du classement en zone rouge des villes de Bamako et ses alentours (incluant Siby).
- la reprise en accord avec le gouvernement malien de la coopération scientifique, académique et culturelle et des actions d’appui au bénéfice des populations maliennes.
Cette lettre ouverte porteuse de nos convictions, de nos craintes et de nos espoirs a été validée par tous les membres du collectif.
