COLLECTIF DASEM PSY
Collectif pour la défense du droit des étrangers malades, particulièrement ceux souffrant de graves troubles psychiques
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Billet de blog 2 févr. 2023

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Histoire de patient·es #4 - Des médicaments précis pour des pathologies précises

Des membres du collectif Dasem Psy racontent les histoires de personnes étrangères accompagnées psychiquement. Elles constituent une mémoire des empêchements à s'installer en France et de leurs effets psychologiques délétères. Elles rendent aussi hommage aux formes de résistances à l'écrasement, au courage et à la ténacité des étranger·es ayant subi des traumatismes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Monsieur F est venu en France avec sa femme et une petite fille. Il est titulaire d’un diplôme post bac ainsi que sa femme. Elle a une stature intellectuelle et sociale qui marquent dès la première rencontre. Leur pays d’origine est considéré par l’état français via l’OFII comme « pays sûr » bien qu’étant en guerre avec son voisin, au cours d’épisodes meurtriers de quelques mois, récurrents.

La notion de « pays sûr » est définie par l'article L741-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Les demandes d’asile sont alors traitées en procédure accélérée. Cette appellation « procédure accélérée » ne signifie pas que les demandes vont être traitées vite et favorablement, comme cela a été fait avec grande efficacité pour les exilés Ukrainiens. Cela veut dire que l’examen du dossier et la réponse seront plus rapides, parfois sans rencontre entre le demandeur et l’OFPRA, et que le temps de l’appel à la CNDA ne donne pas lieu à un titre de séjour.

Le processus commence de la même manière. Enregistrement au guichet unique GUDA, mais le délai pour ce premier rendez-vous peut être long, remise par le guichet d’un document à remplir et à envoyer dans les 8 jours à l’office de protection des réfugiés et des apatrides. Si le dossier est incomplet, un délai supplémentaire de quatre jours est accordé par l'Ofpra.  À défaut, la demande pourra être clôturée. Le délai de réponse peut être supérieur à 6 mois.

 L’histoire de monsieur F est celle d’une spoliation violente de l’entreprise où il travaillait en responsabilité. Le pays dont il vient, est connu pour la captation des richesses par certaines familles puissantes et par un État incapable de s’y opposer. La corruption est fréquente.

Son état psychique à son entrée en France est fait de tristesse intense, de colère de frustration. Il a des douleurs multiples notamment hémicorporelles qui ne sont pas d’origine somatiques. Il a des tics   de la tête et des yeux, des angoisses, maux de têtes, cauchemars où il revoit les scènes d’assassinats ayant eu lieu devant lui. Ses yeux sont hagards, il y a une suspicion d’hallucinations visuelles, difficiles à certifier. Il a des séquelles de fracture et de plaie par balles et une sensation intense d’incurabilité. Ce tableau de douleur totale va interpeller la psychiatre de secteur et va nécessiter un bilan conjoint organique et psychiatrique. Il est hospitalisé et interné plusieurs fois.  Les neurologues se posent la question de crises épileptiques, il est également suivi au centre anti-douleur.

Les psychiatres parlent de syndrome de stress post traumatique, avec les deux dimensions :

- la proximité avec la mort mobilisant l’effroi, le hors-sens, le hors-mot. Un « en-trop » non métabolisable par l’appareil psychique comme le qualifie Georges Jovelet « Le sujet psychotique et les traumatismes » dans L'information psychiatrique.

– la rupture de la continuité de l’existence via la perte de statut professionnel, la mort des collègues de travail, la perte du pays natal.

Plus tard des éléments psychotiques justifieront l’introduction conjointe de deux neuroleptiques. Il est difficile de savoir si une fragilité psychotique préexistait au trauma

La famille se trouve parfois avec un titre de séjour provisoire, parfois en situation irrégulière, selon les décisions négatives et les divers recours. Les délais administratifs s’allongent du fait du covid, ils vivotent. Sa femme qui accompagne sa fille à l’école, et son mari aux diverses consultations, parle maintenant parfaitement français, et travaille quand son statut administratif l’y autorise. Ils sont logés d’abord par le centre d’accueil pour demandeur d’asile, puis, devant sortir de ce logement, ils trouvent refuge à la campagne dans une maison inhabitée qui leur est prêtée, dans un provisoire qui s’éternise.

Monsieur F est aboulique, très fermé mais moins agressif, sa femme s’occupe de lui dans tous les gestes de la vie quotidienne.

Intermittents du titre de séjour donc, vaille que vaille, leur vie se déroule. La petite est parfaitement intégrée dans sa nouvelle école. Ils demandent au bout de 5 ans une régularisation par la santé pour lui et par le travail pour elle. Mais la demande de titre de séjour pour étranger malade pour maladie psychiatrique est rejetée, et assortie d’une obligation de quitter le territoire français.

L’argument est que les deux neuroleptiques, qui ont permis une amélioration de l’état de santé de monsieur F , et  qui ne sont pas disponibles dans le pays d’origine, peuvent être remplacés par du Diazepam. Consternant.

D’une part le Diazepam est une benzodiazépine dont le mécanisme d’action est très différent des neuroleptiques, et d’autre part Monsieur D a déjà deux autres benzodiazépines dans son traitement. Rajouter un troisième médicament de la même famille n’a aucun sens sur le plan pharmacologique et thérapeutique.

De plus, renvoyer le patient sur le lieu de son traumatisme, dans le pays d’origine, le met en risque d’aggravation. La protection vis-à-vis de ses agresseurs est un point clé de son apaisement.

Finalement la décision de refus de titre de séjour sera cassée au tribunal administratif, par la preuve de l’indisponibilité des neuroleptiques dans le pays d’origine. Cette indisponibilité sera obtenue en urgence du ministère de la Santé du pays, par sa femme. La famille déménage dans un logement solidaire associatif plus pérenne. La femme trouve immédiatement un travail. La petite change d’école

Il n’est pas rare que les médecins constatent des conséquences psychiques graves, d’un traumatisme qui n’a pas pu être reconnu lors de la demande d’asile. La grande difficulté à mettre en mot l’effroi, l’effraction psychique qui en découle, la honte, la souffrance extrême ne permettent pas un récit structuré, et bien évidemment, le plus souvent il n’y a pas de preuves.

Ceux qui, comme la famille F avaient une position sociale confortable, nous le répètent souvent « J’avais une belle vie, avant » pour signifier la gravité de leur perte et de leur régression sociale, et aussi pour se démarquer d’une migration économique.

Il est choquant qu’une personne internée à plusieurs reprises et nécessitant un traitement lourd ne soit pas reconnue comme ayant un problème de santé « d’une exceptionnelle gravité », contredisant ainsi les médecins de l’hôpital public. Il est choquant que le lien de causalité entre les évènements de vie survenus dans le pays d’origine, et la santé mentale ne soit pas fait par les personnes pourtant issues du monde médical, chargées de rendre leur réponse.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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