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Collectif pour la défense du droit des étrangers malades, particulièrement ceux souffrant de graves troubles psychiques

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Billet de blog 3 octobre 2023

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Histoires de patient·es #6, #7, #8

Des membres du collectif Dasem Psy racontent les histoires de personnes étrangères accompagnées psychiquement. Elles constituent une mémoire des empêchements à s'installer en France et de leurs effets psychologiques délétères. Elles rendent aussi hommage aux formes de résistances à l'écrasement, au courage et à la ténacité des étranger·es ayant subi des traumatismes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Trois situations d’exilés souffrant de graves troubles psychiques en douce France, ayant fait une demande DASEM PSY. (Droit Au Séjour des Etrangers Malades)

Ces résumés sont rédigés de manière à garantir l’anonymat des personnes, donc imprécis.

Faut-il croire ces récits puisque tout serait douteux aujourd’hui ? Faut-il croire les voix (les nôtres par exemple) qui témoignent de ces rencontres qui affolent ? Les voix qui témoignent de tels récits confiés, sont-elles naïves car aveuglées par l’émotion ou le militantisme, incompétentes et ignorantes de la « science » ou, pourquoi pas, délirantes [i] ?

Ou au contraire, est-ce ce monde, un système discriminant en place, des agissements d’acteurs légaux, de décideurs, qui, cyniques ou sincères, participent, sous une rhétorique d’expertise auto-proclamée, au contrôle des flux migratoires, terrain de leur employeur ? Ont-ils basculé dans l’univers parallèle des falsifications promues par les versions officielles, des slogans mensongers qui font le lit de l’indifférence, niant ce qu’est le soin psychique, ce qui le sous-tend ? Car ici comme ailleurs, l’évaluation d’une situation nécessite une compréhension de son contexte, et le soin nécessite avant tout la force et le risque d’une relation humaine.

#6- Incohérence ?

Débouté d’asile

Un homme d’une quarantaine d’années, a subi des persécutions avec violences physiques répétées dans son pays, depuis des années. Il fuit avec sa femme. Sa demande d’asile est refusée en première instance (OFPRA). Il tombe malade gravement en France : maladie psychiatrique. Des voix incessantes dans sa tête le harcèlent, le poussent au suicide, se moquent de lui, de ses efforts pour se soigner. Les médicaments à forte dose aident un peu, pas assez. Son recours d’asile qu’il n’investit plus (seul compte alors son combat contre les voix) est rejeté.

Le couple a un bébé. Sans papiers, ils appellent en vain le 115, sont hébergés aux frais d’une association dans un hôtel, ceci depuis plus de deux ans. Fin 2021, un recours au tribunal a pourtant enjoint la préfecture de leur trouver un logement dans le délai d’une semaine : rien aujourd’hui encore. Le bébé a grandi, parle Français étonnement bien, délégué de sa classe de maternelle. Mais dans la chambre de l’hôtel, ils sont tous trois serrés, le père ne dort pas, doit se lever, marcher, luttant sans fin contre l’intrusion intérieure.

La demande de séjour pour soin, devenue « protection contre l’éloignement »

Une demande de séjour pour soins est déposée en 2021. Une OQTF « tombée » entre temps, transforme la procédure DASEM en « protection contre l’éloignement ». Il s’agit d’une procédure similaire mais réduite relativement à celle du DASEM, puisqu’il n’y a plus ici de « rapport médical » d’un premier médecin qui convoque le malade à l’OFII, mais seulement l’avis du « collège » de l’OFII, émis par trois médecins, chacun à distance, qui évaluent le dossier pour cocher les 5 cases correspondant aux 5 questions : (1) faut-il des soins médicaux ? (2) L’interruption de ces soins peut-il entraîner des « conséquences d’exceptionnelles gravité » ? (3) Peut-on soigner cette maladie au pays d’origine ? (4) Quelle durée envisagée pour ces soins ? (5) Le voyage est-il possible pour le malade ?

Cette procédure contre l’éloignement obtient statistiquement moins d’avis favorables des médecins de l’OFII que le DASEM. Pourtant, ici, l’avis est positif : les deux questions clés reconnaissent (q 2) la gravité et considèrent (q 3) l’impossibilité de soigner au pays. Seul hic, 6 mois de soins seulement sont indiqués nécessaires pour traiter la maladie. Cette bonne nouvelle d’un avis favorable, s’écrase rapidement avec l’impossibilité d’obtenir une autorisation de la préfecture qui affirmera ne pas trouver trace d’un quelconque dossier pour ce patient, qui pourtant, avait eu un avis OFII, pour lequel, il avait obligatoirement récupérer le certificat-type à remplir en préfecture !

Enfin une demande de séjour pour soin (reconnue comme telle)

Après un parcours ubuesque avec la préfecture et les appels multiples mais vains au 115 par la famille et les accompagnants (associatifs, infirmiers, assistants sociaux et psychiatre) qu’on ne détaille pas pour ne pas épuiser la lectrice ou le lecteur, la famille réussit, avec l’aide des associatifs et juriste à obtenir enfin un RDV en préfecture pour déposer cette fois une demande relevant de la procédure DASEM. La maladie n’a pas été soignée en 6 mois, l’homme reste assailli par ses voix, sa femme soutenant leur famille au risque d’un épuisement profond, l’enfant grandit avec une maturité impressionnante.
Un nouvel avis de l’OFII est attendu. Compte tenu des éléments évoqués ci-dessus, cet avis est attendu avec espoir : pathologie psychiatrique « indiscutable » (psychose et non pas un « simple » traumatisme qu’on sait très peu considéré par l’OFII, et dont la gravité a déjà été reconnue avec la nécessité de soins en France).

Il faut écouter l’intuition. Les « 6 mois de traitement » de l’avis précédent pour une pathologie dont rien ne peut garantir une amélioration suffisante si rapide, inquiétait en sourdine le psychiatre. Ce dépôt de DASEM, deux ans après le premier avis de l’OFII, indique une bien faible efficacité thérapeutique, sauf à donner considération au contexte de précarité socio-économique et. On craint une réticence de l’OFII à un avis positif de « renouvellement » (officiellement une primo-demande !). On suppose du moins la gravité évidente reconnue (situation équivalente à celle évaluée précédemment), mais que les soins au pays pourraient être cette fois considérés possibles, ce point étant un point peu défendable dans une logique où les critères d’accessibilité réelle au traitements définis par la loi de 2016 semblent peu considérés (éliminant par exemple la question d’accès économique, redoutable en pratique, tandis que le contexte de vie, et les vécus antérieurs faisant d’un retour au pays un non-sens thérapeutique ne paraissent jamais considérés).

L’intuition pessimiste était fondée mais le caillou était ailleurs : l’avis ne reconnait cette fois plus la gravité d’une interruption du traitement pour cet homme envahi de pensées en permanence, incapable de tenir en place, de rester quelque part sans sa femme, d’apprendre le Français, malgré ses efforts pour maintenir le lien aux autres, quitte à se boucher les oreilles et se tenir la tête contre l’envahissement.

Après six mois passés, sans guérison, faut-il penser que cet homme simule la persistance des symptômes ? Que le psychiatre ment ? Ou que la situation du patient, parce qu’il ne s’est pas suicidé, et n’a pas été hospitalisé, révèle une faible gravité ? Les interventions engagées incessantes des associatifs, celle des infirmiers, le soutien épuisant de sa femme, l’implication de soignant et psy, d’aide matérielle grâce à une association crée pour des besoins primaires non assumés par les institutions du pays, sont-ils considérés ici ?

L’OQTF tombe, le 115 ne propose toujours rien, l’enfant grandit dans la chambre des parents, la vie s’écoule dans la désespérance. Mais résiste, Dieu sait comment. Peut-être grâce aux liens de personnes qui restent là, malgré les échecs incessants.

L’enfant aide cet homme, c’est sûr, à tenir, car il y a une relation paternelle au-delà de ces symptômes redoutables, mais combien d’années faudra-t-il, quel coût pour l’enfant, pour cette femme, et quelles conséquences pour la santé, cette insécurité, et le risque du retour ?

#7- Criminel ?

Un homme venu d’un pays africain (pays regorgeant de richesses bien mal distribuées) vit une situation matérielle très favorable là-bas : son travail technique pour des multinationales exploitant ces richesses du pays lui permet d’aider sa famille confortablement, ses très jeunes enfants et sa femme, ceux qui vivent avec lui. Des circonstances tragiques, une injustice absolue l’envoie dans l’enfer des prisons du pays où il vit l’inimaginable durant des mois. Une évasion financée par ses ressources acquises, lui permet de survivre, mais il est détruit physiquement et psychiquement. Après des mois d’insécurité, la mort aux trousses, il est exfiltré en France.

Ici, sa survie psychique et physique tiennent à l’hôpital, aux soins d’équipes et de personnes mobilisées particulièrement par cet homme. Après le mutisme qui l’a accablé d’abord, il apprend la langue et est prêt à transmettre, alerter, qu’on sache l’inhumanité qui règne dans ces prisons. Une vitalité, mais une souffrance intense, modérée trop peu par les traitements lourds, les liens établis.

Il vit l’exil. L’exil objectif, l’exil intérieur. Les liens en risque de rupture, ceux qui sont déjà rompus, la perte des garants sociétaux, anthropologiques, de la valeur des mots (sécurité, lois, droits, justice, tabous, humanité). Ce qui fait un être humain, son appartenance à l’espèce humaine, est fragilisé, pulvérisé, l’ossature de la société explosée. Le sens de la vie vidé par la perte d’espérance.
Cet exilé a des enfants : un homme (aussi) souffre pour ses enfants, d’en être séparé, et de ne pouvoir aider, quand la faim et maladie menace. Là-bas, l’argent décide de la vie ou de la mort, avoir des soins ou pas, il faut payer.[ii] Et aujourd’hui, celles et ceux qui sont restés au pays, souffrent « à cause de lui ». Devenu, fantôme étranger à lui-même, c’est l’aide qu’il leur doit qui peut le sauver lui-même : mais il faudrait déjà un droit de travail. Ou choisir l’illégalité du travail avec les risques. Alors, peut-être, il retrouvera sens, lien, confiance en lui et donc, petit à petit, confiance aux autres ?

Débouté d’asile

Son dossier solide, le témoignage du suivi au long cours, soutenu, ce récit transmis au fil des ans qui fait entendre l’écho d’une détresse absolue, pour qui réceptionne la flèche empoisonnée de cet au-delà des mots, ne fait pas preuve auprès des juges de la CNDA. Malgré tant de papiers écrasant l’hypothèse de migration « économique », attestant des points cruciaux du récit, malgré ce trouble psychique où brûle la vérité de l’enfer vécu, les juges semblent atteints par le virus de la suspicion. Est-ce de le voir debout, garder contenance durant l’audition, seule rencontre qu’ils auront avec lui, qui a déterminé leur rejet aveugle aux conséquences vitales de la non-reconnaissance des tortures ?

Dépôt d’une demande Dasem psy

Au moins l’état psychique catastrophique ouvre une porte à une régularisation :  soins indispensables, inimaginables au pays. Après le refus juridique qui choque, la confiance détruite, la déréalisation qui en résulte, le soin devient un ultime recours pour l’espérance : une approche non soumise à des principes biaisés, des logiques politiques ou économiques calculatrices produisant l’injustice, une atteinte aux droits fondamentaux.

On s’inquiète ici encore : l’évaluation oubliera-t-elle le contexte, l’histoire, lira-t-on le dossier ? Va-t-on affirmer sans considérer la situation véritable, qu’il peut se soigner là-bas ? Aura-t-on idée que ses médicaments existent certainement là-bas, sinon un médicament apparenté, ou qu’un traumatisme se soigne facilement au pays, avec l’avantage de la langue bien comprise, par l’efficacité reconnue des thérapies courtes ? Va-t-on écouter l’histoire, l’insécurité extrême, la torture qui a eu lieu là-bas ?

Une OQTF transforme le DASEM en Protection contre l’éloignement. La gravité est reconnue, la case 2 est cochée, oui. Mais, cette gravité perd subitement sens à la case suivante (3) cochée en faveur des soins au pays qui sont considérés possibles. Au diable les indicateurs d’économie de santé catastrophiques, le budget public de santé dérisoire. Au diable ton parcours, tes récits, au diable le « travail » de tant de personnes avec toi, pour tenter de reconstruire quelque chose, d’où puisse renaître une espérance.

Ton intimité blessée, le lien entre ton effondrement psychique et ton récit ne compte pas. Il faudrait donc quitter psychologues, infirmiers, médecins, psychiatres qui te connaissent depuis longtemps, tremblent (émotivité suspecte) à l’idée que tu te suicides, que ta rage folle de mort-vivant ne t’emporte, car tu es dans un autre monde, ta vie d’avant n’est plus qu’un rêve brisé.

Aujourd’hui, tu as disparu brutalement et nous sommes sans nouvelles, une rupture incompréhensible. Ces refus, l’asile, puis le DASEM, à quoi t’ont-elles condamné ? Ces décisions ne sont-elles pas criminelles ?

#8- Indifférence des institutions

Toi, avec ta famille ici, tu survis à un kidnapping, à la suite duquel ton corps t’a lâché, faisant de toi un handicapé. Tu as été débouté d’asile, après avoir effectué un effort surhumain, dans la durée, pour dire ce qui s’est passé durant le kidnapping. Dire que tu voulais à tout prix cacher à ta femme, à tout le monde, pour les protéger, peut-être leur éviter de vivre le même cauchemar ? Tu as franchi ce mur qui te protégeait.

Effort qui ne t’a rien apporté à la CNDA.

Effort qui ne t’a rien apporté pour ta demande de Dasem, pour raison médicale et psy, évalué par l’OFII.

Tu t’attends, si tu te retrouvais sans traitement, à mourir brutalement, laissant une veuve et vos enfants sans père, eux qui sont maintenant scolarisés.

Ceci est cohérent avec ton destin : après les événements, les violences extrêmes subies, après l’accident physique qui a suivi, la dépression, le handicap, l’aiguillage est fermé.

Le Dasem s’imposait : tu avais l’avantage de la maladie physique (qui ne relève pas seulement du « déclaratif » puisqu’il y a les dosages biologiques, les scanner, les IRM).
Comment avoir espoir de faire entendre ta cause dans un recours ? Comment les juges comprendront-ils qu’un traitement au pays n’a aucun sens, non seulement parce qu’un handicapé sans fortune n’y a pas accès, mais parce ce que ce qui s’est passé t’interdit un retour ?

[i] Accusation classique de l’OFII (Cf. rapport au parlement – 2019 – page 36)

[ii] Lire à ce sujet : « Parentalité à distance des exilé·es : une prescription de douleur ? Laure Wolmark. Dans Revue française des affaires socialesRevue française des affaires sociales 2023/22023/2, pages 245 à 259. Éditions La Documentation française

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